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à la littérature le droit d’exister. Elle nous doit une image fidèle de la vie, et, si les passions de l’amour ne sauraient être l’unique sujet de ses peintures, on serait pareillement embarrassé pour lui interdire une matière aussi riche en émotions que fertile en enseignemens. Les écrivains qui nous parlent d’amour s’engagent du même coup à en parler avec vérité : s’ils ne nous en montraient que les charmes et non les hontes, c’est alors qu’ils feraient œuvre mauvaise. Qu’ils comprennent donc leur responsabilité ! elle est grande. Qu’ils se soucient de leur dignité ! elle a tôt fait d’être compromise. Qu’ils mesurent les limites où les enferment et les intérêts de la morale et les conditions mêmes de leur art ! Mais qu’ils maintiennent leurs droits, un jour contre les anathèmes des théologiens, un autre jour contre les condamnations des criminalistes et des juges d’instruction dans l’exercice de leurs fonctions.

Ces réserves indiquées, il n’est que juste de reconnaître ce qui fait la valeur du livre de M. Proal. Il aide à mettre en lumière l’absurdité d’un sophisme aujourd’hui presque universellement répandu. Dans la classification des crimes, on s’accorde à faire au crime passionnel une place à part : on le range dans une catégorie d’exception et de faveur. On convient que ce n’est pas un crime pareil aux autres et que le meurtrier par amour ne saurait être confondu dans la foule des meurtriers. On s’intéresse à lui, on le plaint, on l’excuse : ce n’est pas assez de dire qu’il peut compter sur beaucoup d’indulgence : il devient objet de sympathie et d’admiration. A peine les journaux nous ont-ils appris qu’un amant a frappé mortellement sa maîtresse, et pour peu que le crime se soit commis dans des conditions qui en augmentent l’atrocité, il se remue au fond des âmes on ne sait quelle sentimentalité trouble. Des gens parfaitement honnêtes, dont la conduite est irréprochable et le jugement droit, se surprennent à être plus émus qu’indignés. Des femmes attachées à leurs devoirs, fermes sur les principes, et qui ne sont pas dénuées de délicatesse morale, se rencontrent dans une même fièvre de curiosité avec le bataillon des femmes galantes et l’armée des détraquées avides de sensations. Vienne le jour des débats, la salle s’emplira d’une foule où toutes les classes de la société seront représentées et communieront dans une même angoisse. Et douze bourgeois pacifiques, amis de l’ordre et de la régularité des mœurs, rapporteront un verdict d’acquittement.

Cette sympathie pour le crime passionnel, c’est elle dont on peut dire qu’elle a ses origines dans la littérature : entendez, dans la nôtre. Car il s’est de tout temps commis des crimes par amour, et de tout