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REVUE LITTÉRAIRE

LES CRIMES PASSIONNELS

« Qui comptera les tasses de poison, les coups de poignard et les coups de revolver que l’amour a fait donner, les bols de vitriol qu’il a fait jeter, les nœuds coulans qu’il a formés ? ... » Cette statistique imposante et instructive, M. Louis Proal n’a pas même essayé de la dresser dans son livre sur le Suicide et le Crime passionnels[1], puisqu’il serait plus facile de compter les arbres de la forêt ou les cailloux du rivage. Toutefois il a réuni un ensemble de faits qui est très propre à nous renseigner sur quelques-unes des manifestations les plus curieuses et les plus communes de la passion célébrée par les poètes. Ce sont, comme dans une vision d’hôpital ou de champ de carnage, des corps meurtris, lacérés, déchiquetés, des plaies béantes, des membres brisés, des blessures d’où s’échappent des flots de sang. Des hommes, des femmes, de tout âge et de toute condition, des jeunes filles, des enfans même, se précipitent par-dessus le rebord des fenêtres ou le parapet des ponts, allument des réchauds, vident des fioles de laudanum, se défoncent la tête à coups de pistolet, la poitrine à coups de couteau, ou bien, pareils à des fauves, la fête congestionnée, les yeux fous, voyant rouge, ils s’acharnent contre l’être que tout à l’heure ils couvraient de leurs baisers, et, poussant des cris de rage où se mêlent d’étranges soupirs, ils redoublent les coups sans que la vue même de leur victime étendue morte puisse apaiser leur frénésie. Et celui qui conduit cette danse plus macabre que l’autre, c’est l’enfant divin, l’Amour, volupté des hommes et des dieux.

  1. M. Louis Proal, le Crime et le Suicide passionnels, 1 vol. in-8o, Alcan.