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— Si vous ne saviez rien, répliqua-t-il en essayant, avec une mauvaise foi toute masculine, de prendre l’avantage, c’était assurément de votre faute, car vous avez cessé de m’écrire la première.

Elle eut une de ses soudaines et juvéniles rougeurs.

— Sans doute, j’aimais mieux le silence ; sur le silence on brode ce qu’on veut.

Et, avec plus de honte qu’il n’eût voulu l’avouer, M. de Bresle se rappela qu’elle avait en effet répondu follement et passionnément à ses premières lettres folles et passionnées ; les autres n’étaient guère que celles qui préparent une rupture, en soignant les transitions. Comment se serait-elle prêtée à ce jeu misérable ? Mais elle n’expliqua rien : d’un ton indifférent, au contraire, pour mettre fin à la confusion secrète qu’elle devinait, dont elle avait pitié :

— Vous ne supposez pas, dit-elle, que je veuille m’asseoir sur ce banc par une humidité pareille ? Marchons plutôt.

Et ils marchèrent côte à côte, le long de la pièce d’eau sinueuse, en foulant le tapis de feuilles meurtries qui exhalait une odeur de déclin. Il la regardait de côté. A travers sa voilette, le profil spirituellement arqué lui paraissait jeune, malgré l’altération du fragile teint de blonde, malgré les petits plis gravés aux yeux et aux commissures des lèvres.

Avec l’audace d’un entêté, qui veut avoir le dernier mot, il reprit :

— Je ne sais trop ce que vous pouviez broder, comme vous venez de le dire, sur mon silence, mais le vôtre m’a fait beaucoup souffrir.

— Pas bien longtemps, répondit-elle, et son ironie était sans aucune aigreur. Pas bien longtemps, puisque vous vous êtes marié.

Il haussa imperceptiblement les épaules :

— Oh ! le mariage ne prouve rien.

Elle éclata du rire argentin d’autrefois, un rire unique, le rire de Sylviane.

— Vraiment ? ... Quelle consolation pour moi qui suis restée vieille fille ! Mme d’Ussay semblait enchantée de ce mariage en me l’annonçant.

— Le monde est toujours enchanté du mariage d’autrui.

— Vous êtes heureux pourtant ?