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qu’elle avait jadis vaincue, lorsque, pendant le moyen âge, la population de la ville se trouva réduite à quelques milliers d’âmes et que l’enceinte impériale enferma un désert. On eût pu croire que la campagne, avec son air empesté, avait traversé les murailles et empiété à son tour sur la cité. Inversement, de nos jours, la brusque expansion de la nouvelle capitale a été suivie d’un assainissement immédiat. Chaque nouveau quartier qui s’est couvert de constructions a été un terrain enlevé à la malaria. En 1898, l’infection palustre n’a plus causé à Rome que 170 morts. La proportion, qui était encore en 1883 de 18 morts sur 10 000 habitans de la ville, s’est trouvée abaissée à moins de 3.

L’assainissement pour ainsi dire automatique des villes peut-il suggérer un moyen d’assainir les campagnes ? Est-il possible, en d’autres termes, de pratiquer dans le sous-sol des terrains exposés à la malaria un drainage analogue aux égouts des villes et capable d’entraîner au loin les eaux superficielles ? Cette question qui semble aujourd’hui grosse de difficultés, les premiers habitans du Latium l’avaient résolue, avec une grandeur de conception et une sûreté de méthode qui nous confondent. Le canal souterrain de la Cloaca nuixima, qui drainait, dès le temps des rois, les eaux d’un quartier de Rome, semblait se continuer sur l’autre rive du Tibre, dans les flancs du Viminal et de l’Aventin, et, au delà du cercle que marqua l’enceinte d’Aurélien, très avant en pleine campagne, les collines étaient toutes forées de galeries qui s’y ramifiaient comme des terriers, et dont le réseau occupait tout autour de Rome un espace de plus de 100 kilomètres carrés. Peut-être ce travail gigantesque était-il antérieur à la république : les Romains en ont profité et l’ont entretenu sans qu’aucun de leurs écrivains en ait fait mention. Puis, après les invasions, le bienfait légué aux siècles à venir par un peuple dont le nom même est incertain fut oublié et perdu. Peut-on reprendre aujourd’hui une œuvre qui peut-être avait demandé plusieurs siècles ? Peut-on se remettre à miner une à une les collines de l’Agro romano, pour enfermer les eaux dans les canaux d’une immense catacombe ? Si l’on arrive enfin, après des efforts inouïs, à rendre à la vie toute la campagne de Rome, que fera-t-on pour les terres pontines ? Ici, on ne trouve pas de collines à éventrer, mais bien une plaine à combler, dont le niveau est inférieur à la surface de la mer. Le problème est trop vaste et trop complexe, pour que jamais l’Italie sorte victorieuse d’une lutte avec les eaux.