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côté que de l’autre et, il faut le dire, aussi injustes. La Lombardie accuse la Basilicate de lui être à charge et la traite en parente pauvre ; les Calabres, en revanche, accusent Rome de les exploiter comme un pays conquis. Ici encore il y a des coupables : on a pu montrer comment, par la rupture des traités de commerce et la fermeture des débouchés ouverts jusqu’alors aux Calabres et aux Fouilles, la nouvelle politique extérieure de l’Italie avait précipité une crise de politique intérieure[1]. Mais, pour se convaincre qu’avec l’administration la plus circonspecte le mal se serait pourtant déclaré, il suffira de regarder de nouveau les cartes de la malaria. M. Bodio, l’éminent directeur de la statistique, remarque lui-même que, sur la carte qui indique la progression de la mortalité due à la malaria, l’Italie (avec les îles) se trouve nettement divisée en deux moitiés « par le parallèle de Rome. » Au Nord de cette ligne, il n’y a pas une province où l’on relève annuellement, pour 1 000 âmes, un cas de mort causé par la malaria. Au Sud, il n’y a pas une province qui, sur 1 000 habitans, n’en perde chaque année au moins 5 par le fait de la malaria ; en Basilicate, on arrive à plus de 11 ; en Sardaigne, à plus de 26.

Ces chiffres suffisent, je crois, à faire comprendre l’état d’infériorité singulière où la malaria met l’Italie reconstituée dans le concert des grandes nations européennes. Le temps est loin où l’endémie palustre régnait à Londres, où les Tourangeaux se menaçaient, en manière de juron, des « fortes fiebvres quartaines, » où Louis XIV, guéri d’une fièvre intermittente par la « cinchonine » du médecin Talbot, faisait connaître à son peuple, dans un placard officiel, « le remède anglois pour la guérison des fièvres, w Aujourd’hui on ne s’inquiète, à Londres, à Berlin ou à Paris, des fièvres paludéennes que pour les colons et les soldats envoyés dans les établissemens d’Afrique ou d’Asie. Mais, depuis l’annexion du royaume de Naples et l’établissement de la capitale au milieu de l’Agro romano, la maladie qui, pour l’Angleterre, l’Allemagne ou la France, reste une maladie coloniale, est devenue pour le royaume d’Italie une maladie nationale. Triste destinée d’un peuple énergique et ardent, que sa sobriété traditionnelle a jusqu’ici préservé de l’intoxication à laquelle ne savent pas résister les populations du Nord : la malaria, à elle

  1. G. Goyau, l’Unité italienne et l’Italie du Sud-Est (Revue du 1er sept. 1899).