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allaient gagner quelque argent au-delà des Alpes et revenaient au bout de peu de mois. C’est après la fondation de l’Unité que commence l’émigration permanente. Si pourtant l’on compare les statistiques régionales de la malaria et de l’émigration, on trouvera des coïncidences assez frappantes pour laisser croire que le premier de ces deux faits n’a pas été sans action sur l’autre. En effet, les paysans sont encore nombreux qui, fidèles au mal qu’ont accepté leurs pères, comme les capannari d’Ostie ou les ciociari de Terracine, n’essaient de se soustraire au fléau qu’en regagnant chaque soir un village éloigné, ou bien en remontant chaque année, le labour et la moisson finis, dans les montagnes d’où ils sont descendus. Mais ceux qui, plus nombreux chaque jour, prêtent l’oreille aux rumeurs de la ville et aux échos des pays lointains, et devant lesquels la trouée des voies ferrées a déchiré le voile d’antiques traditions qui enfermait leur ignorance, comment résisteraient-ils aux promesses fantastiques des agens qui vont recrutant des hommes pour les terres transatlantiques, quand ils ne doivent laisser derrière eux qu’une terre maudite et un air empesté, et quand, à quitter la patrie, ils courent au moins la chance de sauver la force de leur corps et la vie de leurs enfans ? C’est dans les régions de malaria que se sont étendus de temps immémorial les plus vastes latifundia ; c’est de là que partent aujourd’hui, sans espoir ferme de retour, le plus d’émigrans : les bras menacent de manquer aux maîtres de la terre. S’il fallait aux remarques qui viennent d’être indiquées comme une consécration officielle, je citerais le passage du projet de loi de 1882 où était défini ainsi le « troisième degré » de la malaria : « La catégorie de la malaria très grave et mortelle comprend les pays où il est impossible de séjourner sans être exposé à prendre les fièvres, et où l’émigration est l’unique moyen de se soustraire au danger. »

Ainsi la malaria est, sinon la cause déterminante, au moins la condition première des maux économiques parmi lesquels se débat l’Italie. On la retrouve encore à l’origine du mal politique dont la gravité commence à effrayer tous ceux qui ne se laissent pas étourdir aux paroles ambitieuses. L’antagonisme entre le Nord et le Sud s’est réveillé menaçant. Les foules qui avaient marché de concert contre l’étranger, comme soulevées de terre par les clairons de l’épopée, sont retombées dans les difficultés d’un grand ménage en commun. Les doléances sont aussi vives d’un