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sa fin, des formes aussi brutales que le choléra, devient le poison de mancenillier qu’une « cosmopolite, » déçue par la vie, s’en va boire sur un lac, dans l’air glacé du soir, et qui, en quelques jours, aura doucement couché au tombeau la désespérée.

L’anémie profonde qui défigure ces visages livides que Dante a vus autrefois dans le val de Chiana, — volti lividi e confusi, — n’est plus, sur un tableau célèbre, qu’un mal ingénieux et artiste, qui pâlit le teint des brunes, sans flétrir la fleur des corps enfantins et des nuques blondes chargées de torsades dorées. Pour les dilettanti, il semble que l’air de mort qui flotte sur la terre des chefs-d’œuvre et des ruines soit le collaborateur d’une œuvre d’art : n’est-ce pas la malaria qui entretient le désert autour de la ville des empereurs et des papes, et qui préserve la majesté de Rome de la promiscuité d’une banlieue ? Livrer la plaine auguste à la prose des cultures maraîchères, ce serait, je gage, aux yeux de quelques-uns, se faire le complice des édiles qui, avec plus de bonne volonté que de goût, ont assaini de force la vieille Rome du Ghetto.

Quant aux citadins et aux fonctionnaires politiques, avec cette indifférence au sort des humbles et des ignorans qui est encore la plaie morale de l’Italie nouvelle, ils ne prennent d’ordinaire aucun souci d’un mal qui épargne leur caste. De leur côté, les économistes ont négligé longtemps l’étude d’un fléau qui avait pour complices la chaleur des étés et la fraîcheur des nuits, et qui, régulier et implacable comme le cours du soleil, continuait à prélever sa dîme sur les générations successives. Bien rares sont encore en Italie les esprits clairvoyans et généreux qui ont mesuré le mal dans son étendue et sa profondeur, et qui ont voulu consacrer leur science et leur énergie à arracher au monstre son secret et sa proie. Quelques-uns pourtant ont réussi à se grouper sous les auspices de M. Giustino Fortunato, député au Parlement italien, et, maintenant, tout en répétant aux indifférens que la question de la malaria est pour l’Italie une question vitale, ils peuvent proclamer aussi qu’elle est une question résolue.


I

Il y a vingt ans à peine qu’un premier cri d’alarme a été lancé. Une commission parlementaire revenait en 1880 d’un court