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LA MALARIA EN ITALIE

La première fois que je me rencontrai avec la Malaria, c’était en revenant d’Ostie à Rome, dans le temps de la moisson. De notre voiture nous apercevions, à quelque distance de la route qui suit le fleuve aux eaux troubles, comme d’énormes meules noirâtres, éparses dans la plaine fauve. Au-dessus de l’une d’elles une fumée montait. Intrigués, nous mîmes pied à terre et nous nous approchâmes : la meule était une cabane, ou plutôt un grand toit de branchages et de chaume directement appuyé sur le sol. Devant la trouée qui servait de porte, quelques enfans nous tendirent la main, avec des yeux apeurés. C’étaient de pauvres êtres hâves et lamentables : des corps rachitiques, des ventres ballonnés, des faces terreuses de vieillards. En glissant un regard dans l’ouverture de la cabane, on distinguait, à travers la fumée stagnante, une vingtaine de couchettes sordides. Quatre femmes gisaient là, sous un tas de ces couvertures rayées dont les Campagnoles font à leur guise un tablier ou un voile, grelottant la fièvre. Trois familles occupaient ce dortoir dressé en pleine campagne et qui devenait un hôpital, sans médecin et sans remèdes. Ceux qui tenaient debout travaillaient un peu plus loin, sous l’ardent soleil. Les haillons des femmes étaient le costume des montagnardes de la Sabine : mais au lieu de se draper amplement sur des corps massifs et durs, ils pendaient sur des membres réduits et desséchés. Pour qui avait admiré la force et la fierté de ce peuple dans l’air vif de la montagne, à la sortie des villages flanqués parfois d’enceintes cyclopéennes, il y avait une tristesse profonde à observer