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pas celles à qui le climat ou la coutume interdit de faire usage de leurs jambes, nous autres dont l’œil est réjoui sans cesse par la Parisienne en mouvement ? Spectacle pédestre infiniment délicat, depuis le glissement cadencé et ondulatoire jusqu’au trottinement ailé qui bat le sol à coups menus et légers.

L’assemblée des notables de 1597, gémissant sur l’excès des importations anglaises, affirmait que nos voisins d’outre-Manche remplissent le royaume d’articles de toutes sortes, « jusqu’à de vieilles bottes et savates, qu’ils font porter à pleins vaisseaux en Normandie ! » Plaintes difficiles à admettre, semble-t-il, du moins pour les chaussures, étant donné leur bas prix habituel aux siècles passés. Les campagnards ne payaient leurs souliers que 0 fr. 90 sous Louis XI, soit, d’après la valeur relative de l’argent, 5 fr. 40 en monnaie de nos jours. Évalués aussi en monnaie contemporaine, des souliers à courroie pour la reine (1312) reviennent à 9 fr.50 ; ceux du sire de La Trémoille (1400) coûtent 8 francs ; les « escarpins » des gens de guerre sont vendus 4 francs au XVIe siècle, et l’on se procurait des « houseaux » en cuir de Cordoue, — le houseau couvrait, on le sait, la moitié de la cuisse, — pour 36 francs. Même bon marché aux temps modernes.

Cet article n’était vraiment onéreux que pour les raffinés, qui poussent la profusion jusqu’à la démence, comme Cinq-Mars à qui Louis XIII reprochait d’avoir 300 paires de bottes. Les souliers à talons rouges des gentilshommes montaient à 24 francs sous Louis XV ; les mules mignonnes de toile d’argent à mouches d’or allaient encore plus haut ; mais la masse de la population se procurait une paire de chaussures communes pour 6 ou 7 francs jusqu’à la Révolution.

La hausse des cuirs et des salaires avait enchéri jusqu’à nos jours, dans une proportion très forte, cette partie de l’habillement. La transformation récente l’a ramenée à des chiffres plus abordables. Il existe aujourd’hui, dans les bazars, des bottines de femmes depuis 5 francs ; le détaillant les achète en fabrique 4 francs qui, chez le manufacturier, se composent de 2 fr. 50 de matière première, — « croûte » de vache pour les campagnes, mouton pour les sortes urbaines, — 1 franc de façon et 50 centimes de frais généraux et de bénéfice. De nombreux spécialistes d’une catégorie plus relevée offrent, pour un prix uniforme de 12 fr. 50, des chaussures qu’ils achètent, les unes 7 francs, les autres 11 francs, aux usines.