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Nombre d’outils américains ont marché longtemps, ou marchent encore dans nos usines, à des conditions identiques, rapportant à leurs inventeurs lointains 400 ou 500 francs par mois. Ils servent à piquer les tiges, à monter, estamper et fraiser, à « déformer, » — c’est-à-dire à polir, — les talons au moyen du mouvement alternatif d’un fer chauffé par un jet de gaz ; ils servent aussi à percer et à coudre les boutonnières : un petit chariot, muni de tous ses organes actionnés par l’électricité, s’approche de l’étoffe fixée sur la table ; il la troue, tandis que deux aiguilles, l’une droite, l’autre croche, formant et serrant tour à tour les boucles du fil, font en quelques secondes le tour de la fente, en y appliquant le garnissage de milanaise qui donne du relief. Le fonctionnement, malgré sa complication, est irréprochable et la mécanicienne qui y préside fait 350 boutonnières à l’heure, autant que 18 ouvrières de jadis.

L’Etat français, qui chauffe ses bureaux au bois et les éclaire à l’huile, exige que le brodequin militaire, pour lequel il paie 13 à 14 francs, et dont il fixe le nombre de clous sur les talons et les semelles, soit cousu et piqué à la main. La longueur des points est prévue par arrêté ministériel. N’empêche que le « godillot » est inférieur aux chaussures civiles et ne se recommande que par sa substance : d’épais « croupon » de bœuf.

Depuis que les fabricans ont dressé une échelle rationnelle et mathématique, comportant, pour chaque modèle, 150 à 300 pointures différentes, à moins d’avoir le pied difforme on peut se chausser tout fait. L’établissement des formes, me dit un manufacturier qui fait annuellement 3 millions d’affaires, est l’alchimie de notre métier. Ces morceaux de charme ou de hêtre, taillés suivant des patrons étudiés avec soin, varient en longueur depuis 0m, 20 de long pour les femmes du Pérou, — les plus petits pieds du monde, — jusqu’à 0m, 31 pour les négresses. Ce dernier chiffre correspond au maximum du pied d’homme, en France, tandis que les extrémités féminines de nos compatriotes sont en moyenne de 0m, 25.

Affaire de régime non moins que de race : habitués à marcher pieds nus, les nègres ont des doigts développés en éventail, qui refusent d’entrer dans aucune chaussure, tandis que dans les pays où les dames marchent à peine, le pied se ramasse et s’accourcit. Cette exiguïté n’est-elle pas payée trop cher ? Señoritas hispano-américaines, beautés des harems orientaux, ne plaindrons-nous