Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

batiste moirée, de damas de soie, de satin broché, — les tissus varient de 0 fr. 75 à 20 francs le mètre et il en faut 50 centimètres, — ont révolutionné cette industrie depuis une trentaine d’années. On calculait, en 1870, qu’il existait à Paris 4 000 corsetières environ, établissant en moyenne un corset tous les deux jours ; ce qui, d’après le nombre des ouvrières dans les autres villes de France, donnait un total de 1 500 000 corsets. Depuis cette époque, le chiffre d’affaires a triplé, le nombre des articles est quatre fois plus considérable et, tandis que le prix de chacun, considéré isolément, s’abaissait, la façon, la substance s’amélioraient.

Notre production annuelle peut être estimée à 55 millions de francs, dont un quart seulement pour le corset sur mesure ; Paris fabrique à lui seul autant que la province. De cette somme, la main-d’œuvre absorbe 25 pour 100, représentée par environ 20 000 ouvrières et un millier d’ouvriers mâles. Les salaires varient de 6 et 8 francs par jour, pour quelques privilégiées, employées chez les grandes faiseuses, jusqu’à 1 fr. 50 pour les femmes qui travaillent chez elles en soignant leur ménage, ou pour les prisonnières des « maisons centrales » à qui les manufactures confient nombre de travaux. L’on m’a fait admirer de jolis petits corsets roses sortant des mains d’une jeune femme, détenue à Clermont pour avoir étranglé ses deux enfans.

L’une des grandes entreprises dont je viens de parler livre au commerce, à elle seule, 900 000 corsets par an, coupés, cousus, plissés, œilletés et apprêtés à la vapeur. Les scies tournantes découpent 36 pièces à la fois, en suivant le dessin tracé au crayon sur les tissus. Les divers morceaux, réunis en paquets par douzaines, sont portés aussitôt à la couture. L’ouvrage, si simple autrefois, est divisé en une foule d’opérations ; au point qu’un corset, avant d’être fini, passe entre plus de vingt-cinq mains différentes. Mais il s’exécute aussi beaucoup plus vite : la machine à 4 ou 5 aiguilles fait 4 ou 5 coutures à la fois.

Nous devons constater ici que, sur le terrain des inventions mécaniques, qui presque toutes viennent des États-Unis, la supériorité des Américains est écrasante et s’affirme en mille détails. Ainsi un appareil, imaginé par eux, avait permis de poser les œillets de laçage dix fois plus vite qu’on ne pouvait faire auparavant ; un effort tout récent a pour résultat d’accélérer cinq fois encore la rapidité de cette besogne. Au lieu d’incruster un par