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divers pays d’Europe : il faut, pour chaque nation, des modèles tout différens.

La forme extérieure des corps fashionables change d’ailleurs tous les quatre ou cinq ans, suivant les bienséances que les couturiers imposent. Le corset se fait tantôt en fuseau et tantôt en corbeille ; la mode, suivant ses caprices, enchante successivement et les grasses et les maigres. Ce fut récemment au tour de ces dernières de se réjouir ; la silhouette féminine passa brusquement de l’image fidèle d’une amphore antique, à l’aspect d’un verre de lampe, puis d’une bougie, puis d’un simple crayon. Les médecins voyaient arriver à leurs consultations des dames éplorées qui leur disaient : « Docteur, donnez-moi ce que vous voudrez, empoisonnez-moi, mais faites-moi maigrir ! » Et, comme le simple massage n’opérait pas assez vite, ces clientes recouraient à la corsetière, confidente des opulences de leur personne. Ces artistes dociles inventèrent alors des harnachemens secrets et extraordinaires pour obtenir une minceur artificielle ; à qui se jugeait trop forte encore ils répondaient, en manière de consolation : « Il est vrai, madame, qu’on ne porte plus ni hanches, ni poitrine ; mais probablement tout cela se portera de nouveau l’an prochain. »

Le corset sur lequel, ou mieux contre lequel hygiénistes et moralistes ont, depuis deux siècles, écrit nombre de pages, est ainsi, suivant les variations du goût, suivant qu’il retranche ou qu’il multiplie, parfois malsain et parfois inoffensif. À cette innocente catégorie appartient une création contemporaine : le plastron baleiné, qui supprime les seins d’étoupe ou de caoutchouc et qui, moyennant une boucle intérieure, serrée à volonté, avantage ou diminue le volume de la gorge, la fait paraître abondante ou réservée, et simule à ravir la fermeté moelleuse de la chair vivante. A travers mille vicissitudes le corset, de Charles IX à Louis XV, avait néanmoins progressé ; de nos jours il s’est transformé tout à fait : le corset « à combinaisons » de 1770, avec son buse épais descendant le long du torse comme une barre de fer, le corset « à poulies » de la Restauration, sont des machines indignes d’être comparées au corset moderne, souple comme un gant, contourné dans ses coutures pour s’adapter à tous les mouvemens, et pesant 200 grammes à peine.

Les perfectionnemens introduits, la création de grandes « usines à corsets », d’où sortent tous les types imaginables, depuis ceux de gros coutil pour les paysannes, jusqu’à ceux de