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peut-être au fond de soi, mais elle finit tout de même par les accepter : vers 1860, au temps des crinolines, lorsque les Françaises portaient sur elles pour 4 200 000 kilos de ruban d’acier, on eut aussi de faux ventres appelés des « demi-termes. » Si le bon ton voulait un jour que les femmes s’appliquassent, au haut du dos ou au bas de l’estomac, la bosse de Polichinelle, sans nul doute elles se la mettraient dans toutes les contrées policées sans exception, et il ne faudrait pas plus de six mois pour universaliser cette gibbosité ; car ce domaine de l’habillement féminin ne connaît nulle frontière et les décrets internationaux et anonymes, par qui la matière est réglée, bien différens en cela des protocoles de conférences diplomatiques, ne souffrent aucun retard.

Le corset, soit qu’il épouse du plus près possible les contours réels, soit qu’il les corrige dans une vue esthétique, soit qu’il les repétrisse au gré d’engouemens passagers, est la pièce essentielle et génératrice de l’ajustement moderne. Lui-même est assez récent. Du moins tel qu’il apparaît aujourd’hui ; le mot de corset, aussi vieux que notre langue, signifiait naguère une sorte de corsage et l’idée est bien plus vieille encore : les femmes de l’antiquité se servaient de bandelettes, disposées les unes sur les autres, pour serrer leur taille, effacer leurs épaules, soutenir leurs seins et en augmenter l’importance. Les dames du XVe siècle obtenaient certains des effets que produit le corset actuel, — cet « instrument de gêne et de mensonge, » comme l’ont nommé ses adversaires, — au moyen de poches rembourrées, cousues au bon endroit sur la chemise.

Le « corps piqué, » inventé sous Catherine de Médicis et mis par elle en grande vogue, était une terrible armature de bois, d’ivoire ou de métal, inflexible et inextensible. Ambroise Paré rapporte avoir vu sur sa table de dissection de jolies femmes à taille fine, « leurs côtes chevauchant les unes par-dessus les autres. » Pour faire « un corps bien espagnolé, disait Montaigne, quelle géhenne ne souffrent-elles pas, guindées et sanglées avec de grosses coches jusques à la chair vive. Oui, quelquefois à en mourir ! » Allez au musée de Cluny voir le corset de fer de cette époque, l’assertion de Montaigne ne vous semblera pas exagérée. — « Espagnoler » un corps, c’était lui donner la taille dont les beautés de la péninsule voisine ont le privilège. Chacun sait, en effet, — mais les fabricans de corsets le savent mieux que personne, — combien sont différemment construites les femmes des