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enlaidi. Entre hommes et femmes, d’ailleurs, la démarcation extérieure par la toilette est assez moderne : la robe d’une vierge grecque ou romaine ne différait guère, soit comme forme, soit comme tissu, de celle de son frère. De même en France, durant tout le moyen âge, la cotte hardie, le gipon ou le corset, n’étaient pas, au temps de saint Louis, plus féminins que masculins ; la robe d’un marmiton était plus commune et coûtait moins cher que celle d’un chevalier ; mais la coupe était la même pour une servante ou pour un maçon, pour une bourgeoise ou pour un archer. Lorsque, vers la fin du XVe siècle, le sexe fort, dans son ensemble, adopta le vêtement ajusté et que la jupe flottante demeura seulement le signe distinctif de quelques catégories, — les « gens de robe longue, » — magistrats, docteurs ou prêtres, les seigneurs et les dames opulentes continuèrent à rivaliser de luxe, bien que sous des accoutremens différens.

Pour les uns comme pour les autres, ce chapitre de dépense ne paraît pas avoir augmenté depuis les temps féodaux jusqu’aux derniers règnes de la monarchie. La France des derniers Valois ou des Bourbons n’eut rien à envier, pour la pompe des atours, à celle des âges antérieurs ; mais elle ne les surpassa pas comme on serait tenté de le croire. En 1328, une robe de drap doublée de soie noire, destinée à la Reine, coûtait (en monnaie de nos jours, ainsi que les chiffres suivans) 1 900 francs. Une autre, de velours cendré, montait à 4 000 francs et une de velours violet, doublée de menu vair, à 9 000 francs. C’est là dedans que les princesses étaient vraiment « parées comme des châsses, » semblables à celles des contes de fées. Il y avait mieux encore : ces étoffes d’or et d’argent fin, dont notre XIXe siècle ne voit plus, au théâtre ou dans les églises, que de pâles imitations. La duchesse de Bourgogne se commandait, en 1375, une robe de drap d’or de Chypre, semée de paons, qu’elle payait 12 500 francs.

Je n’ai rencontré nul chiffre aussi élevé de Henri IV à Louis XVI : en 1740, une robe de velours ciselé de fleurs naturelles, d’où sortaient des fleurs d’or et d’argent, se vend 5 700 francs ; une autre toilette de cérémonie, en 1785, atteint 6 500 francs. C’est le maximum des prix qui me sont passés sous les yeux. Mais, durant la même période, la facture détaillée d’un costume de seigneur exceptionnellement fastueux arrive au total de 6 200 francs.

Et si, laissant de côté ces types extraordinaires, nous considérons