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Le rapport des magistrats est complété par un post-scriptum ainsi conçu :

« Un des officiers du bord nous a remis, après que notre rapport était rédigé, une lettre datée de Portland, émanant de l’agent d’une compagnie d’assurances accidens, où il est relaté que le nommé Roslyn, marchand d’hommes, le même qui fournit au capitaine Molfredo un nouvel équipage, avait assuré la vie de celui-ci pour une somme énorme. Donc ce Roslyn avait intérêt à ce que le capitaine pérît pendant la traversée, ce qui induirait à penser que peut-être aurait-il tramé avec l’équipage un complot pour faire disparaître M. Molfredo.

« Engagés sur cette piste, nous avons repris l’interrogatoire des officiers et matelots. Le second nous a déclaré que, si le capitaine a réellement été tué par l’équipage, le meurtre n’a eu qu’une cause, la crainte de tous que Molfredo ne fît chavirer le navire, qu’il n’était plus capable de diriger ; mais, quant à avoir été soudoyés, il affirme que non. En ce cas, dit-il, c’est tout de suite, au départ de Portland, que le capitaine aurait disparu, et non après trois mois et demi de traversée. D’ailleurs, selon lui, Roslyn est un habile homme, mais non un assassin. Il a profité de ce que, l’assurance de la vie d’un tiers étant licite, il lui semblait probable que Molfredo, chez qui il devinait un commencement de délire, se tuerait ou serait tué pendant cette longue traversée de quatre à cinq mois. Spéculateur effréné, Roslyn a misé sur cette probabilité, non sans se dire, vraisemblablement, que la nouvelle d’un pari engagé sur sa mort allait sans doute hâter l’éclosion de la folie chez Molfredo. Et après ? Ce qu’a fait le marchand d’hommes est indélicat, déclare le consul, mais nullement criminel.

« C’est également notre avis ; aussi pensons-nous qu’il n’y a pas à modifier les conclusions précédentes. »

Le verdict du jury, après quelque hésitation, fut : mort accidentelle, si bien que l’affaire passa à peu près inaperçue dans ce port immense qu’est Liverpool.


Et maintenant, retournons à Portland.

Eh bien ! Roslyn, par nonchalance, venait d’y faire faillite, pour s’être trop témérairement lancé dans une affaire de prospection d’or.

Son actif parut mince, quand les créanciers le comparèrent