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Quand les hommes comprirent qu’il y allait maintenant de leur existence à laisser les choses aller à la débandade, ils n’eurent plus d’autre pensée, sans doute, que de se débarrasser rapidement de leur capitaine. Que se passa-t-il ? ... Tout ce qu’on sait, c’est que, le 13, Molfredo disparut soudain.

Il paraît que, le soir, personne n’entendant le moindre bruit du côté des appartemens du capitaine, l’un des mousses se glissa en rampant jusqu’à la porte, et l’ouvrit. La cabine était déserte. Le mousse revint prévenir le poste.

Alors les hommes descendirent chercher le second et le lieutenant, et les deux officiers, prenant des lanternes, cherchèrent dans tous les coins du bâtiment. Ils n’auraient trouvé aucune trace de leur chef.

« L’attention des magistrats enquêteurs ayant été particulièrement attirée par les dernières lignes qu’eût tracées le capitaine, celles où il parlait de la soute aux voiles de rechange, les magistrats se sont rendus à bord, dit le procès-verbal d’enquête, et sont descendus dans cette soute, — du moins l’un d’entre eux, car la soute est de faibles dimensions. L’examen des lieux révèle que, sur une des voiles, une large tache a dû être lavée récemment. Tache de quoi ? Peut-être de sang. Il faut dire qu’on pénètre dans la soute en question par un trou ovale percé dans le plafond garni d’une courte échelle de fer. Le trou n’est guère plus large que le corps d’un homme. Il se peut que le capitaine, au moment même où il n’avait encore que le bas du corps d’engagé, ait été frappé d’un coup de couteau et soit tombé sans même pousser un cri. Ensuite on l’aurait jeté à la mer. »

« Pressé de questions, le pilotin s’est quelque peu troublé ; mais jamais il n’a cessé de répéter avec énergie qu’il n’avait nullement parlé au capitaine de la soute aux voiles. »

Les magistrats restèrent persuadés, à l’air gêné de certains hommes, que l’équipage devait savoir comment avait péri le capitaine. Mais, ne pouvant baser une accusation sur des indices aussi vagues, et, d’autre part, contraints de s’avouer que les matelots étaient presque excusables d’avoir voulu se débarrasser d’un chef qui allait causer leur perte, ils préférèrent proposer au jury un verdict déclarant que le capitaine Molfredo avait dû se détruire en se précipitant dans les flots.