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« Aussitôt, je sors de ma cabine, revolver au poing, et marchant droit sur le lieutenant : « Si, d’ici un quart d’heure, vous n’avez pas dégagé les pompes, je vous brûle la cervelle ! » Le coquin a eu le cynisme de répondre, d’un air d’indifférence : « Bien sûr, qu’on va les dégager. Nous y sommes aussi intéressés que vous, capitaine ! » Dix minutes après, les pompes marchaient.

5 février. — Je suis resté deux jours couché, et ils n’ont pas osé venir m’achever... Du reste, je les attendais. Le premier qui aurait franchi mon seuil, je l’étendais raide sur le carreau.

7 février. — Je vais mieux, ne prenant plus que le lait de ma chèvre. Mais l’équipage devient ironique à mon égard. On me nargue ; sans doute, ils sont sûrs d’arriver à leurs fins. Roslyn va gagner les 200 000 lires que lui rapportera ma mort. Ce que je voudrais bien savoir, c’est quelle somme il a versée à chacun des matelots qu’il a achetés... Je le saurai !

8 février. — J’ai fait venir cette nuit le pilotin dans ma chambre sous un prétexte quelconque : il ne se méfiait pas. Alors, je lui ai mis brusquement mon revolver sur le front en déclarant qu’il allait périr s’il n’avouait pas. Le pilotin s’est mis à pleurer, m’a demandé grâce et a avoué finalement avoir reçu 500 francs de Roslyn pour me tuer. Il a confessé aussi que le chef des assassins était le lieutenant. J’en étais sûr ! Sans doute, quand il va se voir découvert, cet homme tentera un éclat, mais je le consignerai avec un factionnaire à la porte de sa chambre... Pourvu que ce factionnaire ne le laisse pas sortir !

9 février. — Le lieutenant, lorsque je lui ai prescrit de prendre les arrêts, a eu l’aplomb de me répondre que j’étais fou. Il a ajouté qu’en arrivant en Europe, il se plaindrait à son consul. Quelle impudence !

10 février. — Aujourd’hui, je me suis levé très souffrant. Toute la nuit j’avais enduré le martyre avec des douleurs le long de la colonne vertébrale, — toujours le poison ! — Alors, pour en finir, j’ai réuni l’équipage autour du grand mât, tous les hommes debout, moi assis sur une chaise — pas d’officiers, bien entendu. Je leur ai dit que je savais, que plusieurs d’entre eux me trahiraient, comme Notre Seigneur avait été trahi par Judas.

« Il y a eu une émotion énorme parmi les hommes, mais ils ne disaient rien.

« J’ai continué en déclarant que, certes, je ne réussirais peut-être pas à les empêcher d’achever leur forfait, mais que la justice