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UNE DISPARITION
RÉCIT MARITIME

On fut très surpris, dans le monde de la marine à Portland, quand on sut que le beau trois-mâts italien entré la veille au bassin des Docks, le Città di Messina, avait été, durant la nuit, furtivement abandonné par tout son équipage. Le lieutenant lui-même comptait parmi les déserteurs. Il ne restait à bord que le second, le cambusier, le pilotin et l’un des deux mousses. Si bien que le capitaine, — un grand maigre, à la figure ravagée, aux cheveux tout gris, — avait dû, dès le matin, courir chez son consul lui exposer sa détresse. Vers midi, tous deux s’étaient rendus ensemble chez Roslyn, le fameux marchand d’hommes. On s’était entendu, après avoir longtemps débattu les conditions. Roslyn allait procurer un équipage complet ; il en répondait, bien que n’ignorant point les bruits qui couraient sur le capitaine Molfredo.

Ces bruits, cependant, étaient tels qu’ils devaient donner beaucoup à réfléchir. Les déserteurs s’accordaient pour représenter le capitaine comme hanté d’idées de persécution. C’était miracle, disaient-ils, que le Città n’eût pas péri dans sa traversée de Sydney à Portland, car le capitaine restait des journées Rentières sans monter sur la dunette, lançant ses ordres à tort et à travers. Et puis les hommes lui trouvaient parfois des yeux fixes si étranges qu’il leur faisait peur. Sans compter qu’il avait des rigueurs absurdes, comme de les consigner tous. A Sidney, les officiers seuls avec le maître d’équipage avaient eu la permission de