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je mets, que ce que je mets ne me pare… Dieu… m’a donné une santé et une force nonpareille : rien ne m’abat, rien ne me fatigue, et il est difficile de connaître les événemens de ma fortune et les déplaisirs que j’ai par mon visage, car il est rarement altéré. J’ai oublié de dire que j’ai un teint de santé qui répond à ce que je viens de dire : il n’est pas délicat, mais il est blanc et vif. »

Le caractère de la Grande Mademoiselle à son entrée sur la scène politique, avant les leçons de l’expérience et de la mauvaise fortune, est représenté avec vivacité dans un autre Portrait[1], par un anonyme. — « Cette princesse du sang des rois et des princes, dit l’auteur inconnu, est hautaine, hardie, et d’un courage plus mâle que n’est d’ordinaire celui d’une femme. On peut dire avec vérité qu’elle est une amazone, et qu’elle est plus capable de manier les armes que le fuseau… Elle est fière, entreprenante, et libre à parler, et ne peut rien souffrir de tout ce qui lui semble contraire à sa pensée ; elle n’a jamais aimé les ministres du roi ni de son père, parce qu’il fallait qu’elle eût quelque déférence pour eux… Son humeur est impatiente, son esprit actif et son cœur ardent en tout ce qu’elle entreprend… ; elle ne sait ce que c’est que la dissimulation et dit ses sentimens sans se soucier de quoi que ce soit. »

D’autres contemporains ont dit son « air brusque et délibéré, » sa « vivacité trop extrême et son inquiétude naturelle ; » d’autres ont chanté en vers l’aversion de « la Pallas de notre âge » pour « Vénus », sûrs de lui être agréables, car elle était la première à dire : « Je n’ai point l’âme tendre, » et il lui plaisait qu’on le sût. On a blâmé sa rudesse et ses emportemens, raillé ses prétentions à savoir la guerre et son affectation à en discourir ; on lui a trouvé beaucoup de grands défauts, et peu des qualités qui rendent une femme aimable : on ne lui a jamais reproché une petitesse, une bassesse, une lâcheté, une action fausse ou déloyale. La Grande Mademoiselle n’a jamais trahi, jamais menti. Elle a toujours été vaillante et généreuse. Ce n’est pas sa faute si la nature, en la faisant fille, lui avait donné une mine et des inclinations un peu trop « mâles. »


ARVEDE BARINE.

  1. Les Portraits de la Cour (Collection Danjou, vol. VIII).