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La Grande Mademoiselle suivit la mode. Elle fréquenta les gens mal en cour, dit beaucoup de mal du premier ministre et se fit traiter de « brouillonne[1], » sans savoir précisément où elle en voulait venir. Ce Mazarin qu’elle prenait pour un pauvre d’esprit avait emmêlé avec tant d’art les fils de toutes les prétentions et de toutes les cabales, que les plus fins s’y perdaient et ne reconnaissaient plus ni leurs propres intérêts ni leurs vrais amis. Monsieur, par exemple, qui avait de l’esprit à revendre, n’aurait pas pu expliquer pourquoi il donnait tort à sa fille et l’abandonnait, — lui si jaloux de ses prérogatives et si mal avec M. le Prince, — toutes les fois que Mademoiselle s’embarquait à défendre leur maison contre les usurpations des Condés. C’était le secret de Mazarin, ce n’était pas celui de Monsieur. Après en avoir versé des larmes amères, dans la pensée que son père ne l’aimait plus et lui voulait du mal. Mademoiselle prit son parti de ne compter que sur elle-même pour tout ce qu’elle avait à faire dans la vie.

Elle avait une vingtaine d’années et était dans son plein épanouissement de belle fille saine et fraîche. Son extérieur est dépeint avec une certaine complaisance dans un Portrait écrit par elle-même[2]. « Je suis grande, dit-elle, ni grasse ni maigre, d’une taille fort belle et fort aisée. J’ai bonne mine, la gorge assez bien faite, les mains et les bras pas beaux, mais la peau belle, ainsi que la gorge. J’ai la jambe droite et le pied bien fait ; mes cheveux sont blonds et d’un beau cendré ; mon visage est long, le tour en est beau ; le nez grand et aquilin ; la bouche ni grande ni petite, mais façonnée et d’une manière fort agréable ; les lèvres vermeilles ; les dents point belles, mais pas horribles aussi ; mes yeux sont bleus, ni grands ni petits, mais brillans, doux et fiers comme ma mine. J’ai l’air haut sans l’avoir glorieux. Je suis civile et familière, mais d’une manière à m’attirer plutôt le respect qu’à m’en faire manquer. J’ai une fort grande négligence pour mon habillement, mais cela ne va pas jusqu’à la malpropreté ; je la hais fort : je suis propre ; et, négligée ou ajustée, tout ce que je mets est de bon air ; ce n’est pas que je ne sois incomparablement mieux, ajustée, mais la négligence me sied moins mal qu’à une autre, car, sans me flatter, je dépare moins ce que

  1. Motteville.
  2. La Galerie des Portraits de M de Montpensier. Nouvelle édition, avec des notes, par M. Édouard de Barthélémy (Paris, 1860, Didier).