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mais la singularité de ses jugemens sur le Cardinal, pour ne pas dire leur ridicule, en affaiblit considérablement l’intérêt. Mazarin péchait, à son avis, par le manque d’intelligence. Il n’avait ni « capacité, » ni « jugement ; » sa conduite envers les princes du sang le prouvait de reste. Un ministre qui marchandait la puissance aux branches cadettes, piliers du trône, selon Mademoiselle, et qui les écartait au lieu de s’appuyer dessus, était manifestement « le plus malhabile homme du monde, » en même temps que le plus indigne. On ne se privait pas impunément — Mademoiselle écrivait ces choses sans rire — des talens militaires d’un Gaston d’Orléans, et l’on eût évité bien des malheurs en gouvernant le royaume d’après ses conseils. Le devoir des bons serviteurs de la couronne était d’unir leurs forces pour chasser le Cardinal, et ce devoir souriait de toutes les façons à Mademoiselle. Il était du bel air d’appartenir à l’opposition ; les « personnes de qualité » pouvaient difficilement s’en dispenser, à moins de liaisons particulières avec Mazarin, et les femmes pas plus que les hommes, depuis qu’elles s’étaient mises à s’occuper des affaires publiques avec l’ardeur que leur sexe apporte à tout ce qu’il entreprend.

La politique était devenue le passe-temps favori des ruelles à Paris et dans les châteaux. On commençait toute petite à avoir une opinion sur le gouvernement. — « Or çà, ma grand’maman, disait la petite Montausier à Mme de Rambouillet, parlons d’affaires d’Etat, à cette heure que j’ai cinq ans. » La grand’maman aurait eu mauvaise grâce à refuser, car sa chambre bleue était quelque peu responsable du nouveau divertissement. Avec les premiers salons parisiens était née une opposition à leur ressemblance, spirituelle et moqueuse, très taquine, qui ne fait de mal qu’à ceux qui s’en préoccupent, mais devient alors extrêmement dangereuse. L’esprit y joue le rôle principal ; on renverse un ministère avec un bon mot, on ferait une révolution plutôt que de sacrifier un trait d’esprit. C’était fait pour les Françaises, grandes artistes en conversation. L’opposition des salons leur apportait des plaisirs de choix, toutes sortes de sensations amusantes et raffinées, et leur ouvrait, par surcroît, une large porte sur un champ d’influence où les femmes n’avaient pénétré jusqu’alors qu’exceptionnellement. Elles se précipitèrent dans la place et y sont encore, faisant et défaisant les gouvernemens ou du moins y tachant, par conviction sans aucun doute, mais aussi pour l’amour de l’art.