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roi employa une partie de sa séance à refuser « quantité » de dons accordés par la reine, « tous ridicules et qui seraient à faire rire[1]. » La manne royale tarissait. Quand elle fut à sec, et le trésor vide, on cessa de se gêner. Il s’éleva contre le favori un long murmure, bientôt changé en clameur, et qu’Anne d’Autriche ne parvenait pas à faire taire ; ses efforts ne servaient plus qu’à lui aliéner l’opinion, sans profit pour Mazarin : — « L’amour qu’on avait eu jusqu’alors pour la reine, dit Mme de Motteville, commença peu à peu à diminuer parmi les peuples. Cette puissance si absolue qu’elle donna au cardinal Mazarin fit qu’elle perdit la sienne ; et, pour trop désirer qu’il fût aimé, elle fut cause qu’il fut haï. » D’impopulaire, Mazarin devint exécré, et le mépris l’emporta encore sur la haine, pour des raisons assez bonnes, mais que la noblesse française aurait mieux fait de voir avant la fin de la pluie d’or. Elles ne sont nulle part aussi bien expliquées que dans un Dialogue des morts composé par Fénelon pour son élève le duc de Bourgogne.

Richelieu et Mazarin sont les personnages du dialogue. Chacun fait valoir son œuvre politique et critique celle de l’autre. Mazarin en vient à reprocher à Richelieu d’avoir été cruel et sanguinaire : — « Vous avez bien fait pis aux Français, lui repart Richelieu, que de répandre leur sang : vous avez corrompu le fond de leurs mœurs ; vous avez rendu la probité ridicule. Je n’avais que réprimé l’insolence des grands ; vous avez abattu leur courage, dégradé la noblesse, confondu toutes les conditions, rendu toutes les grâces vénales. Vous craigniez le mérite ; on ne s’insinuait auprès de vous qu’en vous montrant un caractère d’esprit bas, souple, et capable de mauvaises intrigues. Vous n’avez même jamais eu la vraie connaissance des hommes ; vous ne pouviez rien croire que le mal, et tout le reste n’était pour vous qu’une belle fable : il ne vous fallait que des esprits fourbes, qui trompassent ceux avec qui vous aviez besoin de négocier, ou des trafiquans qui vous fissent argent de tout. Aussi votre nom demeure avili et odieux. » Le portrait est ressemblant, bien qu’il ne montre que l’une des faces du modèle, et la plus vilaine. Il est curieux qu’il ait été composé pour l’arrière-petit-fils d’Anne d’Autriche.

La Grande Mademoiselle comptait parmi les plus hostiles à Mazarin. Elle se montre très dure pour lui dans ses Mémoires ;

  1. Journal d’Olivier d’Ormesson.