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l’avouer, que le regret de rabaissement de la reine. Mazarin était le plus éhonté voleur qui ait jamais dévoré un pays à la faveur du pouvoir. Donnant donnant, avec lui, et sans se cacher. On était prévenu ; on n’avait qu’à ne rien demander, si l’on ne voulait pas y mettre le prix. Au besoin, il relançait les gens. Bussy-Rabutin fut averti par un billet du grand Condé d’avoir à verser, « et sans délai, sept mille cinq cents livres » pour le pot-de-vin d’une petite charge ; on possède le billet[1] de Condé, qui a soin de déclarer qu’il « a eu commandement de mander ceci. » Monglat raconte[2] qu’Anne d’Autriche sollicitait un jour une grosse charge pour l’une de ses créatures. Son protégé fut tarifé à 100 000 écus. La reine mère, piquée, marchanda : elle ne put obtenir de rabais. Il est vrai que la lime de miel était alors bien loin.

Les coffres de l’État étaient mis en coupe réglée. Les millions s’entassaient dans ceux du favori, cependant que nos soldats mouraient de faim à la frontière, que les créanciers de l’État n’étaient point payés, que la cour de France « commençait à paraître dans une nécessité honteuse[3], » et qu’il fallait la force armée pour arracher les impôts aux campagnes ruinées par les passages des troupes, les pillages, voleries, abus et désordres de toutes sortes. Cependant « le pauvre M. le Cardinal, » ainsi que l’appelait la reine en parlant de lui, donnait des fêtes d’un luxe insolent et dépensait millions sur millions en fantaisies. J’ai déjà dit que ses importans services en politique étrangère, qui l’ont montré grand ministre par plusieurs côtés, passaient inaperçus en France, peut-être à cause de l’absence de journaux. D’indifférent, Mazarin devint vite impopulaire. Dans les commencemens de sa faveur, Anne d’Autriche avait pu acheter le silence des courtisans. Nous l’avons montrée semant l’argent et les faveurs à pleines mains : « La reine donne tout » était passé en dicton. Le courtisan ravi sollicitait les dons les plus extravagans et il les obtenait. — « On accorda des privilèges, des monopoles à exploiter ou à vendre ; chacun imaginait les taxes les plus incroyables, les plus bizarres, pour s’en faire attribuer le profit : une dame de la cour obtint de la régente un droit d’impôt sur toutes les messes qui se célébraient à Paris[4]. » Le 13 janvier 1644, le conseil du

  1. Il est du 24 mars 1645.
  2. Mémoires.
  3. Motteville.
  4. La misère au temps de la Fronde, par Alph. Feillet.