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tant elle est sotte. Mme de Montbazon avait ramassé des lettres d’amour échappées de quelque poche. Sa charité publia qu’on avait reconnu l’écriture de Mme de Longueville. C’était faux. Anne d’Autriche condamna Mme de Montbazon à aller présenter des excuses à l’hôtel de Condé, rempli pour la circonstance des amis de la famille. — « Monsieur y était, rapporte la Grande Mademoiselle, et je ne pus à mon égard me défendre d’y aller, bien qu’alors je n’eusse pas d’amitié pour Mme la Princesse ni pour pas un de sa famille ; néanmoins je ne pouvais avec bienséance dans cette occasion prendre un parti contraire au sien, et c’était là un de ces devoirs de parenté dont l’on ne se peut défendre. » Le cœur n’y était pas. Les Condés n’y furent pas trompés, et cette misérable histoire jeta de l’huile sur un feu que Mazarin ne cessait, d’autre part, d’attiser, trouvant son intérêt, et aussi celui de la couronne, à ce que les deux branches cadettes fussent mal ensemble. — « Se voyant pressé de toutes parts, disent les Mémoires d’un anonyme, le cardinal crut que, pour maintenir sa fortune, il fallait de nécessité diviser les maisons d’Orléans et de Bourbon, afin que, se balançant l’une par l’autre, il pût demeurer ferme au milieu et se rendre nécessaire à toutes deux. » L’affaire des lettres tombées lui avait paru un coup du ciel. Il en tira si bon parti que, « depuis ce temps fatal, le Luxembourg et l’hôtel de Condé ne gardèrent presque plus de mesure. On regarda toujours le duc d’Orléans et le duc d’Enghien comme deux chefs de partis contraires, auxquels chacun se ralliait selon ses intérêts et son inclination[1]. »

Mazarin ne pouvait pas se laisser renverser ; son étoile était trop belle. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que le premier ministre avait à sa disposition, quand il venait de conférer avec sa souveraine, des argumens d’un autre genre, et d’infiniment plus de poids auprès d’une femme, particulièrement d’une femme vieillissante, que la raison politique ou la raison tout court. Anne d’Autriche n’était pas veuve depuis quatre mois qu’Olivier d’Ormesson notait dans son Journal que le cardinal « était reconnu pour le tout-puissant. » La reine commettait pour lui des imprudences de petite pensionnaire amoureuse. Elle s’était mise à le recevoir le soir, portes ouvertes, sous prétexte de

  1. Mémoires anonymes et manuscrits. M. Chéruel en a publié des fragmens avec le Journal d’Olivier d’Ormesson. L’auteur paraît avoir été un commensal de l’hôtel de Condé.