mens à ceux que notre commune maîtresse, la Muse, trahit et abandonne. La veine poétique étant tarie, on en cherche une autre pour s’étourdir.
Max Riehl défendait ainsi, en bon camarade, celui que face à face il appelait Maître.
— Du reste, en ce moment, s’il perd comme vous le dites, le proverbe se trouve justifié.
— Bah ! Contez-nous cela ! Il se pourrait que la pauvre Marcelle… Quelle horreur !
Max Riehl chuchota cette fois trop bas pour que Robert pût l’entendre :
— Oh ! madame, qui ne l’excuserait ? Songez donc ! le mari d’un bas bleu !
Pour Max Riehl la femme de lettres était le braconnier qui vient dans une chasse gardée frustrer le chasseur de son gibier. Il descendait, sans en convenir, à des considérations purement économiques, ce rêveur qu’on n’aurait cru occupé qu’à révolutionner la syntaxe et la métrique pour exprimer des sensations nouvelles, généralement empruntées à Baudelaire. Faisant imprimer à ses frais, en volumes historiés de signes cabalistiques, certaines élucubrations où l’Art figurait en vain, avec majuscule, il ne pardonnait pas la vente facile d’un stock de marchandises courantes, ternes et grises, droguets grossiers, ou simples cotonnades filées au rouet, selon les sages méthodes routinières d’autrefois. Riehl accablait de ses dédains cette patiente et tranquille fileuse qui se passait de réclames.
— Il est certain qu’elle se plonge corps et âme dans son écritoire, reprit l’amie du bas bleu avec un regard d’appel inquiet à Robert Hédouin dont elle remarquait la présence un peu tard.
— Et puis cela n’embellit pas d’avoir du talent, fit observer Mme de Brécé qui se trouvait là. Jamais je n’ai vu de beauté, — car elle avait une manière de beauté, — passer si vite.
— Le capitaine Hédouin, ma chère, est cousin germain de Mme Salvy.
— Oh ! ce que je viens de dire n’ôte rien à l’estime très grande que j’ai, que nous avons tous pour elle… Alors vous racontiez…
Avec des mines de chattes frôleuses les deux jeunes femmes se pressèrent contre Max Riehl, haletantes de curiosité.
