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qui circonscrit sans cesse la volonté dans le devoir ; leur entendement, enfin, a des habitudes plus chrétiennes. » Port-Royal des Champs, moins farouche, se permettait les « fêtes d’amour » dépeintes par M. Jules Lemaitre : — « Cette vallée de Port-Royal est un des coins de la France les plus augustes, les plus imprégnés d’âme. C’est une terre sacrée. Car cette vallée a abrité la vie intérieure la plus intense peut-être qui ait été vécue dans notre patrie. Là ont médité et prié les âmes les plus profondes, les plus repliées sur elles-mêmes, les plus obsédées par le mystère de leur destinée spirituelle. Nulles, dans ce vertige de l’esprit attentif à son propre gouffre, n’ont paru douter davantage de la liberté humaine, et n’ont pourtant montré une volonté plus forte[1]. » François de Sales aimait Port-Royal, qu’il appelait ses « chères délices ; » M. de Bérulle et Vincent de Paul étaient liés avec Saint-Cyran, et tous ensemble travaillaient avec ardeur à l’œuvre commune, en attendant l’heure des divergences dogmatiques. La tourmente où Port-Royal a sombré ne doit pas nous masquer cette période d’heureuse entente et de féconde collaboration, qui assura l’impulsion décisive à la renaissance catholique.

Nulle part en France leurs efforts à tous n’avaient rencontré autant de résistance qu’à la cour. Les courtisans de Louis XIII allaient à la messe parce qu’il le fallait pour être dans ses bonnes grâces, mais la plupart n’en trouvaient que plus élégant de braver à la fois Dieu, le diable et le roi, en commettant par derrière mille impiétés. Le « parti des saints, » dont il a été question tout à l’heure, ne s’était pas formé sans peine, malgré la pression des idées nouvelles, et n’avait pas vécu longtemps. Mazarin n’était pas homme à tolérer autour d’Anne d’Autriche des gens qui contrecarraient son influence sur d’autres sujets encore plus intimes et plus importans que le conseil de conscience. Les tracasseries qu’il leur suscita confirmèrent le public dans l’idée que la seule chose à faire, quand on était de la cour et qu’on avait été touché de la grâce, était de fuir cet « amas de guêpes, » selon l’expression de François de Sales, pour s’aller cacher dans un cloître parmi les « avettes, » fournisseuses de miel. La Grande Mademoiselle n’avait fait que suivre le train ordinaire des choses en envisageant sa retraite du monde comme la suite naturelle de son brusque accès de dévotion.

  1. Discours prononcé à Port-Royal, le 26 avril 1899, au centenaire de Racine.