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et il tenait à honneur de semer du moins la moisson, s’il ne devait pas lui être donné d’assister à la récolte.

Un troisième collaborateur, Vincent de Paul, être délicieux et adorable, avec sa figure mal équarrie, ses manières de paysan et sa soutane rapiécée, s’employait de son côté à rendre au monde un élément qui lui manquait depuis longtemps : la bonté. On était dur ; les leçons de douceur et de miséricorde de l’Évangile s’étaient effacées de la mémoire de ceux-là mêmes qui avaient mission de les enseigner. La bonté commença de rentrer dans les relations humaines sous l’influence du « père Vincent. » La sienne était sans bornes et contagieuse. Quand on le voyait attacher de l’importance aux souffrances des gens du peuple et soutenir que les criminels sont des hommes, qu’on n’a pas le droit de ne pas traiter en hommes, le courtisan ricanait, haussait les épaules, et sentait cependant qu’il y avait en France, grâce à ce rustique, quelque chose de nouveau et de très doux. Quand il institua les Sœurs de Charité, qu’il fonda successivement l’œuvre des forçats, pour secourir et consoler ces misérables, l’hospice des Enfans-Trouvés, celui des Vieillards et l’Hôpital-Général, où vingt mille pauvres étaient nourris et entretenus, une vénération qu’accompagnait le plus souvent une tendresse infinie entoura sa personne et le soutint dans ses difficultés. Il devint aux yeux du public un être à part, en possession de représenter la pitié dans une société qui s’étonnait de la gagner à son contact. Des personnes que leur passé ne semblait pas avoir préparées aux bonnes œuvres s’y jetèrent avec passion à la suite de Vincent de Paul et, non contentes de prodiguer leur argent et leurs peines, firent aux malheureux le don beaucoup plus rare de leur cœur.

Son action s’exerçait avec la même vigueur en faveur de la religion ; M. de Bérulle eut en lui son meilleur allié. Une maison spéciale de missionnaires, organisée et présidée par M. Vincent, aidait les Oratoriens à reconquérir les campagnes au christianisme. Les jeunes ecclésiastiques à la veille d’être ordonnés recevaient sa forte empreinte au moyen de « retraites » instituées dans cette même maison, et dont Bossuet avait gardé un souvenir reconnaissant. Enfin, et ce fut le plus difficile, il tint tête à Mazarin, sous la régence d’Anne d’Autriche, dans le conseil de conscience chargé de guider la reine pour la collation des évêchés et des bénéfices. La lutte fut chaude et dura dix ans. — « Mazarin,