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Diverses raisons, n’ayant rien à voir avec le principe même de leur croyance, concouraient à rendre la minorité protestante infiniment plus morale que la majorité catholique. La plus forte, peut-être, de ces raisons, était le désavantage social qui s’attachait à la qualité de réformé. Une minorité qui se sent surveillée par un milieu hostile se surveille elle-même de très près, si elle a la moindre prudence et que l’orgueil ou la vanité ne l’aient point aveuglée. Elle se débarrasse en outre, par un processus naturel, des âmes peureuses ou intéressées qui jugent trop onéreux d’appartenir au parti des tracassés. Ce fut presque toujours l’intérêt qui fit rentrer la noblesse protestante dans l’Église romaine. Il y avait tant de profit à se faire catholique, que peu à peu, un à un, les seigneurs se rangèrent à la religion qui rapportait les commandemens militaires, les grades, les gouvernemens, tous les honneurs comme toutes les charges lucratives. Le protestantisme, s’il en fut affaibli, en fut encore plus épuré. Des causes analogues assuraient à son clergé des conditions de recrutement très supérieures, à ne prendre que l’ensemble, à celles qui perdaient le clergé catholique. Un pasteur n’avait à attendre ni abbaye, ni bénéfice d’aucune sorte. En mettant tout au mieux, il faisait une mauvaise affaire. Sa place n’avait rien qui pût tenter les favoris des grands, ni même leurs laquais, et ce fut un grand bonheur pour l’Eglise réformée. On n’y entrait que tyrannisé par la vocation, et il n’y avait pas de danger que ses ministres la laissassent péricliter entre leurs mains. Ils travaillaient avec un zèle quelque peu farouche à entretenir dans les âmes cette vie intérieure qui peut seule obtenir un accord intime entre les actes d’un homme et les sentimens religieux dont il fait profession. Sous leur influence, le protestant de la bourgeoisie ou du peuple ne se contentait pas de pratiquer sa religion : il la vivait, donnant l’exemple d’une austérité de mœurs et d’une intelligence de la charité auxquelles ses adversaires eux-mêmes ont rendu hommage. — « La pauvreté, a dit Bourdaloue, parmi nos hérétiques, n’était ni négligée ni délaissée. Il y avait entre eux, non seulement de la charité, mais de la police et de la règle dans la pratique de la charité. Soyons de bonne foi et ne leur refusons pas la justice qui leur est due. En certaines choses ils nous ont dépassés. Ils ont eu de l’érudition, de la science. Ils ont été charitables envers leurs pauvres, sévères dans leur morale. » — « Le catholicisme n’était pas chrétien : eux, ils étaient chrétiens, » a