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Ce discours n’eut de suites que dans l’esprit de Mademoiselle, où l’idée jeta des racines. Paris en fut informé le soir même, — Mademoiselle n’était pas secrète, — et d’autres que La Rivière en profitèrent pour lui faire leur cour. On lui venait conter que la cour de Vienne, et l’Allemagne entière, l’appelaient de leurs vœux ; elle le croyait. Anne d’Autriche lui déclara le soir du bal, « en l’habillant,., qu’elle souhaitait passionnément cette affaire-là, et qu’elle y ferait tout son possible. » Elle le crut, sans remarquer que la reine s’était servie précisément des mêmes termes lors du projet espagnol. Mazarin lui affirmait de temps à autre « qu’il y travaillait,… qu’absolument il ferait cette affaire. » Elle ne le croyait pas, et en même temps elle le croyait. Monsieur lui représenta, dans l’un de ces momens où il se rappelait tout à coup ses devoirs de père, que l’Empereur était vieux et qu’elle « ne serait pas heureuse en ce pays-là. » Elle répliqua qu’elle « pensait plus à l’établissement qu’à la personne. » Gaston promit alors « d’y contribuer de tout ce qu’il pourrait » et elle le crut. — « Ainsi, dit-elle, la pensée de l’Empire occupait si fort mon esprit, que je ne regardais plus le prince de Galles que comme un objet de pitié. »

Cette marotte, qui d’ailleurs n’empêchait pas d’autres projets, fut d’une ténacité qui passe l’imagination. Ferdinand III s’étant remarié, Mademoiselle disait en riant : — « L’Impératrice est grosse, et elle mourra en accouchant. » La nouvelle Impératrice mourut en effet, en couches ou autrement. Voilà Mademoiselle en campagne, résolue, pour plus de sûreté, à s’occuper elle-même de ses affaires. Un gentilhomme nommé Saujon, qu’elle aimait parce qu’il était un peu fou, noua des correspondances qu’il lui montrait en grand mystère, et voyagea jusqu’en Allemagne, pour négocier en dessous, à l’encontre de toute règle et de toute étiquette, le mariage d’une petite-fille de France. Saujon se permettait de broder sur les instructions qu’il avait reçues. L’une de ses lettres ayant été interceptée, il fut arrêté et mis en prison. Le bruit courut qu’il avait voulu enlever sa maîtresse et la mener épouser l’archiduc Léopold. Mademoiselle ne fit d’abord qu’en rire : — « L’on me connaissait trop bien pour croire que je fusse capable de m’être mis dans la tête un dessein aussi chimérique et aussi ridicule. » Mazarin interrogea lui-même Saujon. Il eut beau le retourner, il n’en tira que la vérité ; Mademoiselle n’avait eu « aucune connaissance » de la lettre surprise. La régente et