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les héros. Elle le prit en dédain ; ses Mémoires précisent le jour et l’occasion.

En 1647, sur la fin de l’hiver[1], il y eut au Palais-Royal une représentation suivie de bal. Nous savons par la Gazette de France qu’on jouait « la tragi-comédie à’Orphée, en musique et en vers italiens. » Anne d’Autriche, qui se défiait du goût de sa nièce, l’avait fait coiffer et habiller devant elle. — « L’on fut trois jours entiers, écrit Mademoiselle, à accommoder ma parure : ma robe était toute chamarrée de diamans avec des houpes incarnat, blanc et noir ; j’avais sur moi toutes les pierreries de la couronne et de la reine d’Angleterre, qui en avait encore en ce temps-là quelques-unes de reste. L’on ne peut rien voir de mieux ni de plus magnifiquement paré que je l’étais ce jour-là, et je ne manquai pas de trouver beaucoup de gens qui surent me dire assez à propos que ma belle taille, ma bonne mine, ma blancheur et l’éclat de mes cheveux blonds ne me paraient pas moins que toutes les richesses qui brillaient sur ma personne. » Après la pièce, on dansa sur un grand théâtre très éclairé, au fond duquel se trouvait un trône, élevé de trois marches et couvert d’un dais. — « Le roi ni le prince de Galles ne se voulurent point mettre sur ce trône ; j’y demeurai seule ; de sorte que je vis à mes pieds ces deux princes et ce qu’il y avait de princesses de la cour. Je ne me sentis point gênée en cette place… Tout le monde ne manqua pas de me dire que je n’avais jamais paru moins contrainte que sur ce trône ; et que, comme j’étais de race à l’occuper, lorsque je serais en possession d’un où j’aurais à demeurer plus longtemps qu’au bal, j’y serais encore avec plus de liberté qu’en celui-là. » Elle considérait de sa place le prince de Galles, et le trouvait de minute en minute plus petit garçon et plus pauvre diable : — « Mon cœur le regardait du haut en bas aussi bien que mes yeux ; j’avais alors dans l’esprit d’épouser l’Empereur. »

L’idée d’être Impératrice s’était présentée à elle l’année d’avant, en apprenant que Ferdinand III était devenu veuf. Le favori de Monsieur, l’abbé de La Rivière, s’était empressé de dire à Mademoiselle, pour s’en faire bien venir, « qu’il fallait qu’elle épousât l’Empereur, » ou à tout le moins le frère de l’Empereur, l’archiduc Léopold. — « Je lui dis que j’aimais mieux l’Empereur. »

  1. Le 8 mars, d’après la Gazette de France. Mademoiselle place cette fête en 1646 ; c’est une erreur.