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ne convienne guère d’entendre des violons dans une chambre noire. » Notez que Mademoiselle, à l’en croire, était alors indignement gênée dans sa liberté et ses plaisirs. Elle avait perdu l’indulgente Mme  de Saint-Georges[1] et s’entendait très mal avec sa nouvelle gouvernante, la comtesse de Fiesque, qui avait entrepris de la discipliner et se permettait de la punir. Mademoiselle se trouvait trop grande, à seize ans, pour être mise « en prison » comme une petite fille, et courait se venger ; de représailles en représailles, elle fut une fois sous clef « cinq ou six jours. »

Il s’était produit dans son entourage un autre changement dont les suites furent plus sérieuses, Louis XIII mourant avait permis à Monsieur de faire venir sa seconde femme, à condition de répéter en France la cérémonie de leur mariage. La princesse Marguerite de Lorraine arrivait à la cour avec une réputation d’héroïne de roman qui n’était pas pour déplaire à sa belle-fille. Quand elle avait commis, il y avait de cela douze ans, ce que les jurisconsultes de Richelieu appelaient son « crime de rapt » sur la personne de Gaston d’Orléans, les événemens les avaient séparés au sortir de l’église, et Madame s’était trouvée bloquée dans Nancy par l’armée française. Elle mit une perruque et des habits d’homme, se barbouilla le visage de suie, traversa nos lignes dans le carrosse d’un cardinal, fit vingt lieues à cheval et réussit à rejoindre Monsieur en Flandre. Le monde admira sa hardiesse. La fidélité conjugale, si peu dans les mœurs du temps, dont elle fit preuve pendant une nouvelle séparation de neuf années, la rangea définitivement parmi les femmes en dehors de l’ordinaire. Paris était curieux de la connaître. On s’empressa à Meudon (27 mai 1643) pour la voir descendre de carrosse et retrouver, après tant de traverses, le cher et volage époux qu’elle avait réussi à fixer. Sa belle-fille l’accompagnait : — « J’allai au-devant d’elle à Gonesse, rapporte Mademoiselle, d’où elle alla à Meudon sans passer par Paris ; elle ne voulait pas y venir qu’elle ne fût en état de saluer Leurs Majestés, ce qu’elle ne pouvait faire parce qu’elle n’était pas habillée de deuil. Nous arrivâmes tard à Meudon, où Monsieur s’était rendu pour l’y recevoir, et il la trouva dans la cour : leur abord se fit en présence de tous ceux qui l’accompagnaient. Tous les assistans furent dans un grand étonnement de voir la froideur avec laquelle ils s’abordèrent, vu que les persécutions que

  1. Morte en février 1643.