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d’avoir des doutes, après que Sa Majesté, dans l’excès de sa bonté, m’a assuré que rien ne pourrait m’abattre de la place qu’elle a daigné me donner dans sa faveur ; mais, malgré tout, la crainte étant le compagnon inséparable de l’affection, etc. » Dans le Carnet suivant (fin de 1643 et début de 1644), ses affaires ont marché : — « La jaunisse, causée par un amour excessif. » La preuve qu’il se sent fort, c’est qu’il se permet des observations : — « Sa Majesté devrait s’appliquer à me gagner le cœur de tous ceux qui la servent, en faisant passer par mes mains toutes les grâces qu’ils reçoivent. » Il en vient à dicter à la reine son langage ; on a retrouvé dans les Carnets le texte des paroles prononcées par Anne d’Autriche en différentes occasions.

Pendant qu’il soutenait contre l’entourage de la reine une lutte encore sourde, la France vivait des instans délicieux. La détente appelée de tant de vœux s’était produite. Une immense espérance versait l’apaisement aux uns et rendait le courage aux autres. La victoire resplendissante de Rocroy (19 mai 1643), survenant au lendemain de la mort de Louis XIII, avait paru aux foules le signe que Dieu prenait sous sa garde l’enfant-roi et sa mère. Cette croyance s’affermissait dans les esprits chaque fois que l’on regardait vers les champs de bataille, transportés maintenant au-delà des frontières, ou vers les gouvernemens étrangers, témoins inquiets de nos rapides progrès. Nous avons eu de belles années à la face de l’Europe, depuis Rocroy jusqu’aux traités de Westphalie, de beaux succès, militaires ou diplomatiques, dont une juste part de gloire doit revenir au ministre qui les avait préparés. Aux yeux de nos ennemis du dehors, Mazarin justifiait amplement la confiance de Richelieu et le choix d’Anne d’Autriche. C’était lui qui avait fait nommer le duc d’Enghien général en chef à vingt-deux ans. Ce fut lui qui devina Turenne et l’alla chercher, lui qui rédigea pour nos plénipotentiaires, avec le juste sentiment de notre nouvelle puissance, l’ordre de « tenir bon[1] » sans s’occuper des autres nations et de leurs résistances.

La plupart des Français ne reconnurent ses services que longtemps après. Cependant, Retz dit positivement que Mazarin fut populaire à Paris dans les premiers mois de son ministère : — « L’on voyait sur les degrés du trône, d’où l’âpre et redoutable

  1. Mémoire du roi aux plénipotentiaires (6 janvier 1644) : — « Il ne faut pas s’étonner de tout ce que disent nos ennemis ; — c’est à nous à tenir bon ; il est indubitable qu’ils se rangeront peu à peu. »