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avec l’Allemagne, prit l’initiative d’une démarche qui devait, comme il arrive toujours dans les assemblées flottantes où apparaît un avis très net et très accentué, concentrer les suffrages épars et précipiter le dénoûment.

Son intervention se présenta sous la forme éminemment correcte et diplomatique d’une dépêche adressée par lord Granville à l’ambassadeur anglais à Vienne et communiquée en même temps aux grandes Cours. Dans ce document, daté du 21 mars 1881, le principal secrétaire d’État de la Reine replaçait la question sur le terrain dont on n’aurait dû jamais s’éloigner en principe, à savoir les décisions de Berlin. Il n’insistait pas sans doute sur « le maintien intégral » de la ligne adoptée alors, mais il affirmait qu’on ne pouvait pas la perdre de vue « en appréciant les espérances raisonnables de la Grèce et des populations congénères, » lesquelles, ajoutait-il, « étaient parfaitement fondées à croire que, dans l’opinion de toutes les Puissances, la rectification de frontière devait prendre pour base une ligne traversant les vallées du Calamas en Épire et du Pénée en Thessalie. » Après avoir ainsi déterminé le tracé général et repoussé implicitement les théories dont on avait prétendu envelopper la pensée des Cabinets médiateurs, il faisait remarquer qu’agir autrement « diminuerait l’influence de l’Europe » et que, tout en tenant « un langage énergique à la Grèce, » on devait satisfaire « ses légitimes espérances et ses justes revendications. »

En somme, les Puissances, en adhérant aux déclarations qui leur étaient soumises, étaient mises en mesure d’attester de nouveau la dignité et la liberté de leur ingérence, de réprimer les ambitions exagérées des Grecs tout en assurant un agrandissement considérable du royaume, et de donner à la Turquie, avec une fermeté inéluctable, un avertissement sévère : la Porte n’avait plus qu’à renoncer au système des refus obstinés ou des offres malséantes qu’elle n’avait cessé d’opposer à la volonté de l’Europe. Aussi leur assentiment fut-il immédiat et unanime. Elles reconnaissaient dans ce programme leurs intentions communes, l’esprit du Congrès et de la Conférence. La France, en particulier, y trouvait la consécration de la politique qu’elle avait inaugurée à Berlin, et, sinon tous ses projets, du moins une grande partie du plan qu’elle avait alors proposé. Quant aux deux États intéressés, ils pouvaient s’accommoder honorablement d’un arrangement éventuel qui laissait à l’un des territoires qu’il