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paraissaient plus pressans ; elle était entrée ainsi dans le domaine des idées générales bien avant que le gouvernement français n’ait cru devoir, non seulement y adhérer, mais la soutenir avec vivacité en présence de circonstances de plus en plus graves. Il est d’ailleurs très probable que les Puissances n’eussent pas accentué une théorie aussi fâcheuse pour leur autorité et même pour la dignité de leur conduite, si elles eussent rencontré moins d’obstination à Constantinople, et surtout si le Cabinet d’Athènes avait montré des dispositions moins irréductibles. Mais la Grèce, en affectant la résolution inébranlable de n’entendre à aucune concession sur le texte de Berlin, de l’ériger même en dogme impératif, de l’exécuter, enfin, au besoin par la force, augmenta leur mécontentement, leur inquiétude, et leur désir de sortir du cercle où l’on prétendait les enfermer. Il est certain que, dès notre première entrevue, M. Coumoundouros m’avait expressément affirmé « ne pouvoir et ne vouloir » s’écarter des clauses de l’Acte final, et il avait tenu le même langage à mes collègues. En outre, le roi Georges, répondant à mon discours, avait rappelé avec fermeté que ces clauses « avaient réglé les nouvelles frontières d’une façon définitive et irrévocable. » Ces manifestations hautaines avaient, en vertu d’une loi psychologique bien connue, incité l’Europe à soutenir une opinion contraire, et à réagir contre une volonté et des définitions aussi exclusives. Elle se trouva ainsi engagée dans une controverse rétrospective, captieuse, et disons-le, fort inutile, puisque, sans rien désavouer, elle avait toujours la ressource d’invoquer au besoin, pour une transaction, l’aspect nouveau des circonstances et son droit irrécusable de préserver par-dessus tout la sécurité de l’Orient.

On pouvait d’autant mieux s’abstenir de cette polémique aventurée, et bien espérer d’une diplomatie claire et correcte, que, malgré l’émotion du peuple grec et les démonstrations calculées de son gouvernement, nous avions la chance heureuse d’avoir affaire à une nation dont la réflexion corrige souvent les vivacités passagères, à un souverain d’une haute sagesse, et à un ministre expérimenté. Nous savions qu’avec un patriotisme non moins ferme que celui de ses sujets, le roi Georges était doué d’une rare clairvoyance, connaissait le fort et le faible de la situation, et aussi, — ce qui est la qualité maîtresse d’un chef d’État, — envisageait les choses sans entraînement sentimental, avec le sens le plus juste des véritables intérêts de son pays. Quant à M. Coumoundouros,