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Après avoir ainsi soutenu que la Turquie n’était point la cause des troubles permanens qu’on invoquait contre elle et, en outre, décliné la compétence du Congrès dans la question des frontières, il se refusa catégoriquement, et avec une nuance d’ironie, à accepter la thèse assez paradoxale des avantages qu’une cession de territoire apporterait à son pays, et déclara que son souverain voulait précisément conserver les provinces qui lui appartenaient, non seulement en vue de ses intérêts propres, mais en vue des intérêts des populations et du maintien de la paix.

Ces divers discours ne furent suivis d’aucune discussion contradictoire et approfondie. Le Congrès se borna à adopter le tracé de M. Waddington sans indiquer quelle portée pratique il attribuait à son vote. Il ne fut même plus question de l’affaire jusqu’à la dix-huitième séance, où, le prince de Bismarck ayant fait incidemment allusion au vœu exprimé par l’assemblée, Carathéodory-Pacha s’empressa de demander que le mot de « bons offices » fût substitué à celui de « médiation, » et constata que la Porte « n’avait pas donné son consentement à une rectification de frontières et se réservait d’en entretenir les Cabinets. » Ce langage fut assez mal accueilli : les plénipotentiaires conservèrent le terme de « médiation », et le chancelier allemand crut devoir établir de nouveau l’autorité du Congrès, en faisant remarquer, sous une forme hautaine, que « les six Puissances demeuraient toujours libres de s’entendre entre elles, sur ce point, en dehors de la Turquie. » Ces observations divergentes ne furent relevées par personne, et aucune explication ne fut provoquée au sujet du sens réel du treizième protocole. On en resta sur ces termes vagues, et il résulta une situation fort singulière : 1° la Grèce estimait que les Puissances, en indiquant une ligne précise, s’étaient engagées à la sauvegarder ; 2° les Puissances n’avaient donné aucun commentaire de leur texte et s’étaient réservé le droit de régler les choses sans le concours de la Porte ; 3° la Turquie ne se jugeait point liée, n’ayant pas adhéré au tracé, et restait cependant sous le coup d’une ingérence souveraine dans ses affaires ; libre de rendre stériles ses propres négociations avec la Grèce, elle était en même temps astreinte à une médiation indéfinie.

Ajoutons que le Traité de Berlin n’élucida pas le problème : il renvoyait, dans son article 24, les deux parties à s’entendre sur la rectification de frontières indiquée au treizième protocole, et mentionnait la médiation éventuelle, sans rien préciser davantage.