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en ajoutant que Li-Hung-Chang, après avoir donné connaissance de ce rappel aux puissances et essayé d’ouvrir des négociations personnelles avec elles, était resté à Canton. Aujourd’hui cependant, il a quitté Canton et il s’est mis, avec une grande lenteur à la vérité, en marche vers le Nord. Tous les mouvemens du puissant vice-roi ont été l’objet, dans le monde entier, d’une attention intense, mais qui n’a pas toujours été flatteuse pour lui. Il n’inspire pas confiance. La supériorité de son intelligence sur celle de la plupart de ses compatriotes est incontestable et incontestée. De plus, il a quelque notion de ce qu’est l’Europe. Mais il est Chinois ; et il porte à un rare degré le caractère de fourberie qui est le trait distinctif de sa race. Tout le monde le sait : aussi, pour employer l’expression consacrée, Li-Hung-Chang a-t-il eu une mauvaise presse. Il a été assez généralement maltraité. Peut-être y a-t-il eu là, avec un sentiment de réserve très légitime, une exagération contre laquelle il faut se mettre en garde. Les circonstances sont assez confuses, assez incertaines dans le présent et encore bien plus dans l’avenir, pour avoir inspiré à Li-Hung-Chang lui-même des hésitations et des perplexités. Il a évidemment hésité à se rendre à Pékin, mais enfin il en a pris la direction sous prétexte d’aller rejoindre son nouveau poste : il vient d’être nommé vice-roi du Petchili. Sa résolution est un symptôme favorable. Quoi qu’on en dise, parmi les choses peu vraisemblables, il n’y en a pas qui le soit moins que la résolution prêtée à Li-Hung-Chang par quelques journaux de se mettre à la tête du mouvement des Boxeurs. On a fait remarquer qu’il avait amené toute une armée de Pavillons-noirs recrutée par lui, formée et disciplinée depuis quelques mois, et qui s’élèverait à 40 ou à 30 000 hommes. Il lui a donné l’ordre de marcher à sa suite. En tant que Français, nous ne saurions en être fâchés : il vaut mieux pour nos intérêts que cette armée, dont toute la discipline tient à la forte main de Li-Hung-Chang, ne reste pas sur les frontières tonkinoises. Dans le Nord, elle pourra être utilement employée si le gouvernement chinois se propose véritablement de rétablir l’ordre et si Li-Hung-Chang veut l’y aider. D’autres hypothèses peuvent sans doute se présenter à l’esprit ; néanmoins, le voyage de Li est plus rassurant qu’inquiétant. Le vieux vice-roi s’est rendu d’abord à Hong-Kong, où il a été reçu par les autorités britanniques avec des honneurs excessifs. Malgré ce que nous venons de dire de lui, on ne saurait oublier qu’il représente un gouvernement sur lequel pèsent les plus lourdes responsabilités, un gouvernement qui, alors même que les ministres étrangers seraient encore vivans.