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imprévue à se servir des armes que nous avions forgées pour eux, et en particulier de leur artillerie. On se demandait avec inquiétude quel serait le résultat d’un duel qui, matériellement, semblait très inégal. L’inquiétude n’a pas tardé à être calmée, ou du moins elle est passée du côté chinois. Le brillant fait d’armes auquel nos compatriotes ont pris une part importante, et qui a fait tomber Tientsin entre les mains des alliés, a eu un grand retentissement à Pékin. Après la chute de Takou, celle de Tientsin a commencé à y ouvrir les yeux sur l’efficacité des moyens dont nous disposions. On s’y est demandé ce qui arriverait lorsque les renforts seraient enfin réunis, marcheraient sur la capitale. Alors, comme par miracle, les légations se sont trouvées intactes, on nous a du moins donné l’assurance qu’elles l’étaient, et nous avons dit pour quels motifs elle nous semblait sincère. Il y a eu dans le monde entier, en même temps qu’une surprise mêlée de doute et même quelquefois d’incrédulité, un soulagement immédiat. On ne savait pas, au premier abord, ce qu’il fallait croire, mais enfin on n’était plus obligé de croire au pire. Le douloureux cauchemar a pesé sur nous d’une étreinte moins forte. On se trouvait en présence d’une situation nouvelle. On avait le sentiment que, si elle venait à s’éclaircir tout à fait et à se confirmer, elle pourrait comporter d’autres conséquences que celles qui avaient été envisagées jusqu’alors. Toutefois, après avoir été si souvent trompés, et, — pourquoi ne pas le dire ? — après nous être trompés nous-mêmes à plaisir sur les affaires de Chine, la défiance nous est apparue comme un devoir. Si quelques lueurs, encore bien indécises et surtout bien incomplètes, commençaient à luire pour nous, de quelles obscurités n’étaient-elles pas entourées ! Que de choses restaient inexplicables ! Quelles difficultés à concilier toutes celles qu’on nous donnait comme certaines ! Que de lacunes et de contradictions ! Par-dessus tout, le silence des ministres continuait, et il continue toujours d’entretenir notre angoisse. S’ils sont sains et saufs, comme on le prétend, pourquoi ne donnent-ils aucun signe de vie ? Un télégramme signé d’eux ferait bien mieux notre affaire que tous ceux que le vice-roi du Chan-Toung reçoit de son gouvernement, et qu’il semble, d’ailleurs, nous distribuer avec un compte-gouttes. Il y a, à la vérité, M. Conger, ministre des États-Unis, dont un télégramme a été envoyé à Washington ; mais ce télégramme n’est pas daté ; on ne sait pas à quelle période exacte il se rapporte ; — l’authenticité même en est incertaine. Enfin le cas de M. Conger augmente encore nos perplexités au lieu de les faire