Ce revirement, si étrange qu’il paraisse, est une conséquence nécessaire de la révolution de palais qui, il y a deux ans, livra le pouvoir à l’Impératrice douairière, la vieille Tsou-Shi. Tsou-Shi a écarté du pouvoir l’Empereur Kouang-Hsu. Elle l’a relégué dans une sorte de prison où il s’étiole, morne et blême, et où il succombera bientôt. Ce coup d’État fut accompli avec l’aide des Mandchous et des élémens les plus réactionnaires, les plus férocement Vieux Chinois. On reprochait à Kouang-Hsu son penchant pour les réformes. Les jeunes mandarins, les commerçans en gros des villes, les nombreux fonctionnaires qui se groupaient autour de lui, qui formaient sa faction, auraient voulu que la Chine suivît l’exemple du Japon, purifiât son administration, empruntât à l’Occident ce que ses inventions, ses coutumes, ses institutions ont d’applicable à tout pays soucieux de progrès. Les Mandchous, groupés autour de Tsou-Shi, accusèrent ce parti du progrès de projeter une révolte. Le séquestre de la personne impériale fut accompagné de persécutions contre le parti réformateur. Les journaux d’inspiration occidentale, le Kowen-Pao de Tien-Tsin et le Su-Pao de Shangaï, furent prohibés. Des centaines de réformateurs furent massacrés et une foule de hauts fonctionnaires exilés. Parmi les exécutés étaient de grands personnages de l’État, un membre du « Grand Conseil, » et un autre nommé premier ministre par l’Empereur : tous étaient des amis personnels de Kouang-Hsu. Ils furent décapités sans jugement, tandis que des centaines de fonctionnaires inférieurs et des milliers de simples citoyens étaient proscrits. La presse libérale de Tien-Tsin, de Shangaï et de Macao, celle de Singapour, celle du Japon, marquèrent cette révolution comme un recul de la civilisation dans l’Extrême-Orient.
La vieille Tsou-Shi se trouva ainsi livrée, en prenant le pouvoir, au parti réactionnaire. Elle proclama, comme héritier présomptif, le fils d’un Mandchou renforcé, du prince Tuan. L’influence de Tuan fut dès lors prépondérante à la cour. Elle s’appuya sur celle de Hsu-Tong, tuteur de l’héritier, et sur celle du haut mandarin Tung-Fou-Siang, commandant en chef des hordes qui menacent depuis si longtemps la sécurité des étrangers au Tchi-Li. Enfin l’impératrice est personnellement attachée au parti de la « porte fermée » par son ignorance, sa faiblesse, tous les défauts de caractère et d’esprit d’une femme de soixante-dix ans, livrée depuis son enfance à la vie la plus dissolue.
S’il fallait encore des preuves de l’abandon complet de la cour au parti mandchou, on les trouverait dans les dernières mesures, d’ordre gouvernemental et administratif, prises par l’Impératrice douairière.