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tout, à quel nom réel il correspond. Or, ici, les contradictions commencent. Sous les Boxeurs, on a découvert successivement au moins trois sociétés secrètes différentes.

Au premier jour, on nous affirma que leur association n’était autre que « l’Abat-jour rouge, » de Tching-Tchung-Tchan et de Ta-Tan-Hui, ce qui faisait d’ailleurs deux sectes : celle de la « Grande eau » et celle de la « Cloche d’or. » Et l’on nous donna comme chef de l’« Abat-jour rouge » un ancien brigand, Tchou-Hung-Teng. Puis, par une interprétation erronée d’une « interview » de Mgr  Anzer, l’évêque catholique romain du Chan-Toung méridional, on a cru retrouver les Boxeurs dans la secte du « Grand couteau, » dont le chef est le lettré Chan. Enfin, on les a assimilés à une troisième secte, le « I-Ho-Thuan », ce qui peut se traduire par la « Ligue des patriotes unis. » Et comme cette découverte, venant après les deux autres, ne laissait pas d’être gênante, on s’en est tiré en disant que c’était « le nom le plus récent » de la Société.

Il est difficile de se retrouver au milieu d’appellations aussi variées. Il se pourrait que l’on confondit des corporations qui n’ont rien à voir entre elles. Et cela jette d’abord un doute sur l’époque dont on doit faire dater l’existence des Boxeurs. Car, si on les fait remonter jusqu’à « l’Abat-jour rouge, » la secte est née depuis longtemps ; et si l’on s’en tient au « Grand Couteau » et aux « Patriotes unis, » son origine est plus récente.

Voilà qui est propre à justifier un certain scepticisme. Si on le poussait à bout, on pourrait conclure que le nom de « Boxeur » ne s’applique avec tant de facilité à tant de sociétés secrètes si diverses que parce qu’il ne s’applique proprement à aucune en particulier ; — qu’il n’y a même pas de société appelée « les Boxeurs ; » mais que les Européens, assaillis et « boxés » par des insurgés quelconques, ont voulu absolument considérer leurs « boxeurs » comme une des sociétés secrètes dont ils avaient eu antérieurement à se plaindre, ou comme une société secrète analogue. C’est un peu comme si l’on voulait rendre une de nos ligues françaises responsable d’un soulèvement qui se serait produit, en réalité, d’une façon tout à fait générale, dans la masse du peuple. Et les Chinois qui lisent nos journaux se tromperaient sur notre compte comme nous nous trompons sur le leur, s’ils voulaient identifier absolument le mot « Nationalistes » avec l’association de la « Ligue des patriotes. » Tenons-nous-en donc prudemment à l’agitation, insurrection, ou mouvement des Boxeurs, sans vouloir parler d’une société secrète spéciale. Nous sommes là sur un terrain