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vrai que ses devanciers ni ses contemporains lui ressemblent tous ou presque tous en ce point. Car ses plaisanteries, après cela, ne sont pas du tout inoffensives ! Aucune plaisanterie n’est inoffensive qui nous accoutume à parler ou à penser bassement. Mais les plaisanteries de Rabelais deviennent dangereuses quand elles deviennent ignobles ; et elles le deviennent particulièrement, quand elles ne vont, comme en tant de rencontres, qu’à ridiculiser outrageusement la vieillesse, par exemple ; ou à déshonorer le mariage ; ou à salir même la maternité.

Au reste, — et on en a fait plusieurs fois la remarque, — c’est ici l’un des défauts, ou, pour mieux dire, l’une des grandes lacunes de l’œuvre et du génie de Rabelais. Dans cette satire où, l’une après l’autre, défilent sous nos yeux toutes les conditions humaines, la femme n’a presque point de place, ou du moins, quand on nous l’y montre, c’est de loin, et d’ailleurs c’est toujours pour l’injurier grossièrement. Que l’on se reporte seulement aux chapitres XXI et XXII du second livre, le premier du Pantagruel : il n’y a rien de plus « gaulois ; » et on songe invotairement à la manière dont la femme est traitée dans nos vieux fabliaux ! Ah ! la « galanterie » n’était pas le défaut de nos trouvères ; et quand ils parlaient d’amour, la bassesse de leurs sentimens n’avait d’égale que l’imperfection de leur langue. Rabelais est bien de leur famille. On ne trouve pas trace de « chevalerie » dans son œuvre, et l’inspiration des Romans de la Table ronde en est absente ! Absente aussi cette sensibilité qui respire dans la Ballade que fit Villon à la requeste de sa mère :


Femme je suis, pauvrette et ancienne,
Qui rien ne says, oncques lettres ne lus ;


absente la grâce :


La reyne Blanche comme lys,
Qui chantait à voix de seraine ;


absente enfin jusqu’à cette inspiration de voluptueux ou d’artiste qu’on sent passer dans les vers célèbres :


Corps féminin, qui tant es tendre,
Poly, souef et précieux...


Et cela sans doute est fâcheux, plus fâcheux peut-être que tout le reste, pour « un humaniste » surtout. Car d’avoir ainsi traité