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où le Quart livre courait par la ville, et où l’on y pouvait lire des phrases comme celle-ci : « Qui fait le Saint-Siège apostolique en Rome, de tout temps et aujourd’hui, tant redoutable en l’univers, qu’il faut ribon ribaine que tous Roys, empereurs, potentats et seigneurs de lui pendent, tiennent de lui, par lui soient couronnés, confirmés, authorisés, viennent là boucquer et se prosterner à la mirifique pantoufle, » c’était aussi le moment où l’abbé de Bellozane, Jacques Amyot, revendiquait à Trente les droits de l’Église Gallicane, 1551. Et le fameux chapitre avait à peine paru dans lequel Rabelais explique à sa manière : Comment par la vertu des Décrétales est l’or subtilement tiré de France en Rome, qu’on publiait dans Paris, à son de trompe, un édit « par lequel le roi défendait, sous peine de la vie et de la confiscation des biens, à qui que ce fût, de porter aucun argent à Rome, pour quelque raison que ce fût, ni en autres lieux de la dépendance du Pape[1]. » Serait-ce peut-être aller trop loin si l’on voyait dans ces coïncidences l’explication de ce fait, qu’en dépit de la Sorbonne et du Parlement, le Quart Livre, un instant interdit, ne l’a pas été plus d’une quinzaine de jours ? Mais assurément, tout ce qui s’y trouve de l’Ile de Papimanie, et d’Homenaz, et des Uranopètes Décrétales, Henri II n’a pu manquer de l’avoir pour agréable. Cette satire servait sa politique. Le « précurseur de la Révolution » s’y montrait le docile instrument des intentions royales. Supposé, — ce que l’on n’a garde ici de faire ! — que Rabelais eût écrit sur commande, il n’eût su mieux s’y prendre. Et c’est peut-être, si l’on le veut, que la royauté française commençait elle-même de faire, hélas ! sans le savoir, tout ce qu’il fallait pour « préparer la Révolution ; » mais cela encore nous donne l’idée d’un autre Rabelais.

On s’est quelquefois étonné de la violence avec laquelle, en 1542, il s’était déchaîné contre Etienne Dolet. Celui-ci, — qui d’ailleurs, et comme tous ses contemporains, n’avait pas des idées très nettes sur la propriété littéraire, — s’était avisé, en 1542, de donner une édition des deux premiers livres de Rabelais. Or, à cette date, Rabelais venait justement d’en donner lui-même une où, faisant droit aux censures de la Sorbonne, il avait modifié ou

  1. Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, traduite sur l’édition latine de Londres, à Londres, édition de 1734. T. II, p. 93 à 102. Voyez le discours énergique, mais d’ailleurs apocryphe, ou du moins supposé, que l’historien a mis dans la bouche d’Amyot.