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dans son Cinquième Livre, — nous ne sommes pas sûrs que le Cinquième Livre soit de lui. Les quatorze premiers chapitres n’en ont pas été publiés avant 1562, sous le titre de l’Isle Sonnante, et l’ensemble, tel que nous l’avons, n’en a paru pour la première fois qu’en 1564. De qui le premier éditeur tenait-il le manuscrit ? De quel mandataire ou de quel héritier de Rabelais ? Nous ne savons, on vient de le voir, ni quand ni où Rabelais est mort : quelle peut donc être l’origine des « papiers de sa succession ? » par quelles mains ont-ils passé ? quelles raisons en ont retardé, pendant dix ans, ou même douze, la publication ? comment ceux-ci seraient-ils les seuls qui nous fussent parvenus ? Aussi longtemps qu’on ne pourra répondre à toutes ces questions, nous n’aurons pas seulement le droit, nous aurons le devoir de mettre en doute l’authenticité du Cinquième Livre. Mais si nous en avons encore d’autres motifs, dont le principal est celui-ci, que les inventions du Cinquième Livre ne font guère que reproduire, — en en exagérant, je dirais presque en en parodiant la licence, — les inventions du Quatrième, et par exemple, si l’Isle Sonnante n’est qu’une « réplique « maladroite et grossière du Pays de Papimanie, on voit la conséquence : le Rabelais du Cinquième Livre passe constamment la mesure que l’autre, celui des quatre premiers livres, a pris à tâche d’observer, et, naturellement la violence de ce premier Rabelais, du vrai, du seul, s’en trouve atténuée d’autant. Le vrai Rabelais, le Rabelais des quatre premiers livres, n’est ni plus violent, ni plus hardi qu’Érasme, en ses Adages ; et ni sur les princes, ni sur la guerre, ni sur les moines, ou contre les uns et les autres, il n’a fait preuve de plus ou d’autant de rancune et d’acrimonie.

Il y a mieux ! et bien loin d’être de nature à déplaire « en haut lieu », on se demande si quelques-unes de ses prétendues hardiesses ne seraient pas justement la rançon des complaisances que le pouvoir lui a, comme on l’a vu, plusieurs fois témoignées. La confusion du « trône et de l’autel » est récente ; mais, du temps de Rabelais, on ne craignait pas de distinguer la cause de la cour de Rome d’avec celle de la religion, et toutes les deux, au besoin, d’avec les exigences de la politique française. Il est donc fort possible qu’Henri II n’ait pas vu d’un œil malveillant, et encore bien moins irrité, Rabelais lancer ses traits contre « Homenaz, évêque des Papimanes ; » ou plutôt cela est certain, et un simple rapprochement suffit à le prouver. Au moment même