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le mois de mai, à Montpellier, où il prend le bonnet de docteur. Il y fait même un cours sur Les Pronostics d’Hippocrate. L’année suivante, à Lyon, il dissèque en public le cadavre d’un pendu, — ce qui fournit à Etienne Dolet le sujet d’une épigramme un peu macabre. Puis, en 1539, il passe, comme médecin, du service du cardinal du Bellay, au service de son frère Guillaume, l’aîné des du Bellay, seigneur de Langey, gouverneur du Piémont, et en 1540, nous le trouvons établi à Turin.

Mais l’obscurité recommence, et, de 1540 à 1546, nous perdons encore une fois sa trace. Nous ne connaissons guère de lui, pendant ces quatre années, qu’une violente protestation contre une réédition de son Pantagruel et de son Gargantua, donnée à Lyon par Etienne Dolet ; et la publication d’un Almanach pour 1545. Nous savons aussi qu’il était présent à la mort de Guillaume du Bellay, survenue au mois de janvier 1543, et on suppose que c’est à cette occasion, en récompense de ses services, qu’il reçut d’un troisième du Bellay, René, évêque du Mans, la cure de Saint-Christophe de Jambet. En tout cas, c’est une preuve qu’il ne lui avait pas nui de s’avouer l’auteur de son roman, et, s’il en fallait produire une autre, nous la trouverions dans ce fait qu’à la veille de publier le second livre de Pantagruel (le troisième de tout l’ouvrage), il obtient du roi François Ier un « privilège » dont les termes diffèrent sensiblement de la banalité de ce genre de pièces. Les deux premiers livres du roman y sont en effet qualifiés de « non moins utiles que délectables. » Rabelais se fonde, pour obtenir la faveur qu’il demande, sur ce que les imprimeurs « auraient iceux corrompus et pervertis en plusieurs endroits. » Et il ajoute, ou son libraire ajoute pour lui que, s’il se décide à en publier un troisième, « c’est qu’il en est importuné journellement par les gens savans et studieux du royaume. » Ce privilège est daté du mois de septembre 1545 , et le Tiers livre, hardiment signé, celui-ci, du nom de François Rabelais, paraissait l’année suivante, à Paris, chez Christian Wechel.

Que se passa-t-il alors ? et le livre fut-il trouvé trop audacieux ? Ce que nous savons, — Rabelais nous l’apprend lui-même, — c’est que le Roi voulut se le faire lire, et son « docte et fidèle anagnoste, » Pierre Duchâtel, le lui ayant lu, François Ier n’y trouva « aucun passage suspect. » La Sorbonne même n’y put mordre ! Et cependant on ne saurait douter qu’un événement grave ne soit intervenu dans la vie de Rabelais, si surtout on rapporte