début pour des rochers luisant au soleil. Mais bientôt, sous le vent, le doute n’est pas permis ; et il n’y a plus qu’à détaler au plus vite en retenant sa respiration. Cet horrible fléau est dû à l’insuffisance d’un fonctionnaire qui ne sait pas la langue, prisonnier par conséquent d’un interprète infidèle et grand amateur de pots-de-vin. Des buffles, sans passeport, traversant le fleuve du Siam à la rive française, empoisonnent le pays sur 300 kilomètres le long du Mékong. Trois cents buffles sont morts dans un seul village. On voit dans les champs les buffles vivans paître près des buffles morts, et j’en ai vu pourrissant sous la Caï-nha[1] de leurs propriétaires. J’ai vu des centaines et des centaines de ces animaux se décomposer dans les rivières, et tout le peuple et ma caravane boire de ces horribles eaux.
Dans la pittoresque vallée du Nam-Ping, l’énorme rocher de Patang, en forme de pain de sucre, donne son nom à un village de Thaïs-Sua. Tout se fait en bambou dans cette région : j’ai vu souvent les enceintes des villages, les clôtures des terrains de bonzerie marquées par de légères palissades de bambou ; quelquefois de hauts bambous marquent l’entrée du village, et des caractères, gravés sur un bambou balancé par le vent, sont un signe de préservation. Quelquefois aussi, aux côtés du sentier, se trouve en treillis de bambous, une espèce de croix, moitié croix, moitié étoile, piquée sur un bâton. C’est un ornement de pagode, sorte de croix ouvragée et déformée comme les Swastika[2] ou croix gammées retrouvées en Chine et au Japon.
La croix gammée est démoniaque ou divine, c’est-à-dire bouddhique, selon l’orientation de ses ailes. Elle représente, dit-on, les deux bâtons sacrés qui servent à faire le feu, et figure en même temps la roue solaire. C’est un symbole des religions antérieures au bouddhisme et commun à un grand nombre de peuples[3]. On l’a rencontrée sur des statues assyriennes, dans des sépultures étrusques, sur des poteries anglo-saxonnes et italo-grecques. Vénérée également des druides gaulois, la Swastika n’est apparue dans les catacombes chrétiennes qu’au IIIe et surtout au IVe siècle[4]. Elle répondait au besoin des chrétiens de dissimuler le signe sacré en empruntant des figures étrangères.