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chapeaux pour s’abriter du soleil et de la pluie. Une branche de bambou allumée, le soir, quand l’étape est trop longue et qu’il faut continuer de marcher la nuit venue, au risque de rencontrer le tigre, suffit pour l’effrayer et pour vous éclairer. Et non seulement le bambou sert à fabriquer des flambeaux, des chapeaux, des cordages, de la vaisselle, des meubles, des maisons et des ponts, mais encore il sert à la nourriture des animaux, et même à celle des indigènes, qui en mangent, en guise d’asperges, les pousses les plus tendres.

Il est plusieurs sortes de bambou. On appelle maï-bane[1], le gros bambou qui sert à faire des boîtes et des flotteurs. Le maï-tôt est le bambou mâle, aux cloisons plus rapprochées, fort et fin ; avec un fer à l’extrémité, il sert dans les rivières à naviguer à la perche. Le maï-an est le bambou femelle plus creux et plus léger, dont on fait les toitures de radeau et les nattes de clôture. C’est lui qu’on emploie pour les kélates.

On m’a donné pour m’accompagner un jeune satou, un prince laotien, le frère du second roi, le satou Chiao-Chocravatt, une manière de général, qui s’est bien battu contre les Siamois et qui passe pour intelligent et énergique. C’est lui qui s’occupe de tout et me décharge de tous soins. Il surveille la réquisition et le chargement de mes coolies, le balayage du camp, la pose de ma tente ; et, tout comme un Européen, il sait mettre la main à la pâte lorsqu’il est nécessaire. Après seulement, il pourvoit à la propre installation de son campement, et y procède en jupe et le torse nu. Il est en tout, avec les formes les plus galantes, mon cavalier servant. Il prend si fort au sérieux sa responsabilité de me conduire saine et sauve, qu’il me ferait volontiers descendre de cheval au moindre mauvais pas. Mais nous en avons vu bien d’autres ; et l’Écho d’Oran, un cheval pie, aux taches les plus excentriques, qu’un aimable compatriote a eu la bonté de me prêter, sait sauter et passer sans encombré. D’ailleurs le Pou-Ka-Sac[2] et le Pou-Lao-Pi, les points les plus élevés de la route, ne dépassent guère 900 et 1 200 mètres ; on les atteint par des pentes douces que le sol argileux permettra de ménager comme à plaisir quand il conviendra.

Les ordres ont été si bien donnés que les coolies du royaume de Luang-Prabang, les braves Khas-Mouks et quelques Laotiens

  1. Maï signifie bois.
  2. Pou veut dire mont.