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ponts raccommodés. Je n’aurai pas besoin d’attendre que mes « coolies, » le « coupe-coupe » en main, m’aient frayé le passage. Tout est possible dans les pays où rien n’est facile, et où il est convenu qu’on ne se laisse arrêter ni rebuter par les obstacles. Quand on n’a plus besoin que de ce qui est vraiment nécessaire, c’est incroyable comme il faut peu de chose, et comme on comprend et on envie la supériorité de celui qui exige encore moins ! Ce qui rend tout facile, ce qui sert à tout, c’est ce bois creux, à la fois si solide et si léger, l’incomparable bambou. En France, nous ne le voyons que sous forme de petits meubles agréables et inutiles. Ici, le bambou suffit à tout. Il fournit la maison tout entière, le bois de charpente comme les murailles ; les cloisons et les planchers sont en lattes de bambou nattées. Or cette maison, avec les meubles, lit, tables, accessoires divers, et ses objets de luxe, si vous êtes un raffiné, vous sera improvisée en deux heures partout où vous voudrez.

Un pont est-il emporté ? En deux heures, grâce à ce bois facile à manier et à travailler, des hommes auront refait un autre pont. On est d’ailleurs surtout étonné, dans les débuts de cette vie libre, et plus que toute autre indépendante des hommes et des choses, par la grande simplicité et l’ingéniosité de tous les moyens. Les objets sont rudimentaires, mais pratiques, faciles à faire, vite prêts et aisément réparés. Tout le monde sait créer cet outillage usuel, et on n’est pas arrêté, comme chez nous, par la plus petite avarie qui survient à nos ustensiles perfectionnés, qu’un spécialiste seul est capable de remettre en état.

Un tube de bambou est un abri sûr pour vos cartes et vos papiers ; c’est le verre pour boire, et c’est aussi la pipe pour les fumeurs. En plus grand module, c’est le seau pour aller puiser de l’eau ; c’est le récipient pour toutes les provisions liquides et solides. Emmanché d’une queue, il sert de casserole aux Laotiens pour cuire leur riz, ou pour préparer le sirop du palmier à sucre. Déchiré en lanières, il sert de cordages et de ficelles ; on enfile les ligatures de sapèques sur des kélates, filamens de bambou, et c’est ce qui rend si peu pratique notre nouveau sou indo-chinois, avec son trou bien rond percé au milieu. Ceux qui président à la frappe de nos monnaies ont ignoré que la kélate est carrée, ce que le premier venu, arrivant de l’intérieur, eût pu leur dire. On fait avec ces mêmes kélates des paniers de tout genre pour le matériel et les transports. On en fait aussi des