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lui reste avant de rentrer ses bêtes, le petit-maître, dans son salon du Marais, voit le Phébus de Caffieri et songe à sa course dans les cieux.

Cependant la science progresse encore. Elle peut loger maintenant une grande âme mécanique dans un tout petit corps d’horlogerie. En même temps triomphe dans les esprits le sentiment du retour à la nature. On est sorti du salon meublé par Boulle et l’on a regardé avec admiration, comme un spectacle nouveau, s’allonger les grandes ombres messagères de l’heure tombant du haut des montagnes sur les plaines. Les allégories ont paru froides. Les dieux sont partis. Apollon a remisé, dans les académies des Beaux-Arts, les coursiers qui avaient caracolé sur tant de pendules. Saturne a replié ses ailes, mis son sablier en sautoir, et déposé tristement sa faulx en voyant l’ouvrage bien plus expéditif des faucheuses mécaniques. La décadence des allégories est irrémédiable. Elle date de la fin du XVIIIe siècle. Mais ce que le symbole perd, la nature le regagne. Sur ces cartels Louis XV et Louis XVI d’où sont descendus les dieux, voici que montent, pour les remplacer, les tournesols, les lauriers, les iris et les roses. Regardez les pendules de Lepautre : vous y verrez que le règne végétal envahit la décoration et que c’est à peine s’il se glisse, pour montrer l’heure, parmi toutes ces fleurs, un serpent. Aujourd’hui enfin, les très rares artistes qui tentent de restituer quelque poésie au tableau des heures, retournent en demander la source à la nature directement consultée. Ce n’est plus les rayons de Phébus qu’ils font voir, mais ceux du soleil lui-même, ni les ailes du temps, mais celles des oiseaux, ni l’écoulement du sable, mais celui des fleuves. Un Anglais, M. Voysey, a imaginé la vision suivante : sous un toit bombé, porté par deux piliers droits, un paysage s’encadre, étroit et haut. Du sol, montent trois cyprès, emblèmes de repos et de commémoration. Derrière, passent deux voiles sur un fleuve ; dans l’air flotte un disque très simple, où les heures sont marquées par les lettres tempus fugit et par une croix. Plus haut, dans le ciel assombri, passe une nue volante d’oiseaux, et cependant une banderole, brochant sur les trois cyprès, porte ces mots : Time and tide wait for no man. Il n’y a plus là ni mythologie, ni figures allégoriques. Il n’y a plus qu’un paysage un peu « stylisé. » C’est la dernière évolution de l’art décoratif. C’est la nature elle-même qui revient, comme elle faisait au temps du cadran solaire, entourer de son charme le signe de l’heure.