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grêle, du vent. Aujourd’hui l’horloge est silencieuse comme la cheminée. On sait l’heure, mais on ne l’entend pas ; on sent la flamme, mais on ne la voit pas. On voit seulement sur le cadran une aiguille qui tourne, comme un doigt qui effacerait circulairement quelque chose.

Telle a été l’évolution dans le mécanisme de l’Horloge.

Mais, dans sa décoration, le mouvement inverse s’est produit. A mesure que la science diminuait le rôle visible et, partant, la poésie des forces naturelles, l’art s’ingéniait à leur donner une place de plus en plus grande par l’allégorie

D’abord simple architecture, sans aucune poésie, sans aucun rappel des forces naturelles, la décoration de l’horloge demeura longtemps réduite au rôle de boîte à instrument. Les automates dont on la compliquait, non seulement ne sont point une réaction contre l’artifice de la science, mais sont, au contraire, des produits nouveaux de ces artifices et leur couronnement[1]. Leurs enfantines évolutions ne rappellent aucune des grandes forces naturelles qui marquent la révolution des jours. Mais lorsque, plus tard, l’engin se perfectionne à tel point que disparaît l’usage même du cadran solaire et du sablier, lorsque, dans son hôtel artificiel et pompeux, l’homme du XVIIe siècle va oublier le sens profond et naturel de l’heure, devant son meuble de Boulle, alors l’art vient le lui rappeler. Cette poésie qu’avait dans la nature la recherche de l’heure, l’art vient la restituer par ses emblèmes et ses allégories. Ce soleil que l’on ne consulte plus, il le remet devant les yeux sous les traits de Phébus-Apollon et de ses chevaux projetés en un éclatant éventail. Ce coq que l’on n’écoute plus annoncer la quatrième veille se dresse tout sculpté au sommet du cadran, le cou tendu, sur ses ergots d’or. Cette fuite du temps que ne marque plus le filet de sable qui coule, nous y songeons en voyant les grandes ailes de Chronos. Et ainsi, longtemps après que la science nous a, par ses ingénieux mécanismes, rendu inutiles la vision directe du soleil, de l’oiseau et du flot, l’art vient nous les rendre sous la forme imaginée des attributs, des emblèmes et des dieux. Ainsi l’art établit une lointaine harmonie entre les pensées des simples et celles des raffinés du siècle. Au même moment où le pâtre, sur sa montagne, consulte la hauteur du soleil à l’horizon, pour calculer le temps qui

  1. Voyez l’horloge au cavalier turc automate du XVIe siècle. Collection Planchon. Rétrospective de l’Horlogerie, aux Invalides.