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par l’objet à décorer, c’est-à-dire, ici, pour et par le cadran. Sous le moyen âge et la Renaissance, qui est le règne de l’architecture, l’horloge est un édifice avec ses tourelles, ses colonnes, ses ogives, ses balustrades, ou bien avec ses ordres grecs, ses frontons, ses colonnades, ses dômes, ses coupoles et ses campaniles. Le décorateur d’horloges est un architecte : il construit son joujou comme il ferait une basilique et y loge ensuite un cadran, qui y semble un portail monstrueux. Une horloge du musée de Bourges, qui remonte au XVe siècle, semble être sœur de la Lanterne des morts, construite à la même époque à l’église d’Avioth. Mais, au moyen âge comme à la Renaissance, tout l’édifice est expressément construit pour le cadran : son sommet est une calotte demi-sphérique ou un dôme galbé ou un campanile gothique[1] : il recouvre ainsi exactement l’arc du cadran ; ses colonnes l’encadrent exactement, étant de son diamètre et presque tangentes. Les figures logées dans les écoinçons du bas font les gestes qui l’enveloppent ; les mascarons placés dans les écoinçons du haut se penchent vers lui, en sorte que l’édifice, quelque architectural qu’il soit, est si bien construit pour le cadran qu’il ne se comprendrait plus, s’il en était privé. C’est ce qui distingue nettement les horloges architecturales de la Renaissance, comme celles de la collection Kohn, à la Rétrospective de l’Horlogerie, des appropriations ridicules du XIXe siècle, comme cette pendule de la chambre Louis-Philippe à la Centennale du Mobilier, où un minuscule cadran troue en son milieu une reproduction de l’église Notre-Dame. Dans celle-ci, le cadran dépare une architecture où rien n’était disposé pour lui ; dans celle-là, il complétait un monument où, au contraire, tout l’attendait.

Sous Louis XIII, l’architecture de l’horloge évolue en sculpture. On ne la place plus sur la table. On la dresse contre le mur sur une console. On ne tourne plus autour d’elle comme autour d’un monument : on la regarde de loin et d’en bas. Dès lors, trois faces seulement étant apparentes, on ne la décore plus que sur trois. Elle avait la forme d’un édifice stable, lié au sol par les fondations : elle prend celle d’une urne ou d’un ostensoir. Elle est en bois ou en bronze, sculptée et dorée, imbriquée d’écaille, noire ou brune, incrustée d’étain, de couleurs tristes et froides. On l’appelle horloge « religieuse. » Mais, là encore, la forme de

  1. Rétrospective de l’Horlogerie. Collections Kohn et Georgi.