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figures autrefois rayonnantes et comme les cendres de tableaux splendides, suspendues, par quelque procédé magique, dans les airs. Mais si l’on examine de près ces tapisseries, on y découvre des détails plus étranges encore. Dans l’Histoire de la Vierge, à la gauche du Christ couronné d’épines, voici qu’une pieuse femme, les yeux baissés, présente au Sauveur une horloge, comme s’il demandait l’heure. Et dans la tapisserie de la Justice, nous voyons qu’une autre femme, — fort honorée dans la composition, car elle se tient à gauche de la Justice, — s’est embarrassé les mains, pour témoigner de sa vertu, d’un binocle et d’une lourde horloge. C’est la Tempérance. Il faut, pour s’expliquer son attribut, se souvenir que les longs repas du moyen âge n’avaient guère de terme que celui même du jour. L’instrument qui, le premier, vint avertir qu’on buvait déjà depuis quatre ou cinq heures put passer pour importun, mais assurément parut très vertueux. Aussi figure-t-il dès lors avec honneur dans les combats entre les vertus et les vices, et, grâce à son mécanisme, la Tempérance triomphe dans les miniatures des manuscrits, dans les tapisseries, et jusqu’au pied des tombes. L’idée qu’une parfaite exactitude, irréalisable autrefois, va désormais régner dans les relations humaines incline les esprits à considérer l’horloge comme un signe sensible de la sagesse et du progrès moral, Les vers de Passerat pour l’horloge du Palais de Justice à Paris :


Machina quæ bis sex tam juste dividit horas,
Justitiam servare monet legesque tueri,


reflètent bien la pensée qui avait dominé tout le moyen âge. Devant cet engin nouveau fourni par la science, l’humanité ne demande qu’à s’instruire davantage et à se livrer au plaisir de l’émerveillement.

A la Renaissance, l’émerveillement ayant cessé, la réflexion commence. L’homme, blasé sur les services de la machine à mesurer le temps, s’avise de sa philosophie. En somme, se dit-il, s’entendre à chaque instant mécaniquement rappeler la fuite de la vie, c’est une tristesse. Ce sentiment se fait jour dans les horloges où figure encore le Dieu du christianisme. Ce ne sont plus les mystères joyeux de notre religion qu’évêque l’heure, mais les mystères douloureux : Vigilate et orate quia nescitis horam, lit-on sur une horloge anglaise du XVIe siècle, qui porte la figure du Christ et les emblèmes de sa mort. Et, sur une autre, pour qu’on